Le dernier sacrifice

"Pilote de guerre" est le récit d'une mission mais c'est aussi bien plus que cela. C'est une introspection, une dissection des sentiments complexes qu'offre la guerre, une remise en question systématique et méthodique des valeurs républicaines. Ce livre est autant une élévation dans le chaotique ciel français qu'une plongée au plus profond de l'âme du narrateur.

Ce récit autobiographique d'Antoine de Saint-Exupéry relate une mission de reconnaissance d'un appareil du Groupe Aérien 2/33 dont il est le pilote, en zone occupée, au-dessus d'Arras. Cette mission a lieu au début de l'été 1940, peu avant la fin de la bataille de France et la capitulation qui a suivi. Durant tout le récit, il relate l'esprit de corps qui règne dans son bataillon, la camaraderie, le respect des uns envers les autres, et surtout le sentiment du devoir à accomplir passant obligatoirement par le sacrifice.

Et puis vient cet instant où, dans les airs, son avion se retrouve sous le feu de tous les projecteurs allemands. Une effusion de lumière avant celle de métal qui va pleuvoir sur lui dans un vacarme et une violence inouïs. Et puis, un instant après, chose inattendue, la paix. Saint-Exupéry comprend soudainement toute la valeur de la vie au contact de la mort. Il sait maintenant ce qu'il a été proche de perdre et sait pourquoi il s'est battu et continuera de le faire.

S'ensuit alors une réflexion sur l'absurdité de la guerre (bien qu'il la juge nécessaire), sur la lutte pour un idéal sans frontières, sur le sentiment de respect absolu pour la vie. Cependant, la vision qu'il nous propose de l'état de la civilisation occidentale d'alors est aussi pessimiste qu'anticipée. Il fait son devoir, accomplit son sacrifice, mais sait pertinemment que sa mission est vaine, qu'il se bat pour une cause perdue, comme tous ses camarades. Selon lui, la notion même de civilisation s'élude au profit d'une simple somme d'individus, ce qui entraine nécessairement la perte de vue de l'idéal, le déclin de la patrie, et ainsi, échelon suprême, la perte du sens du sacrifice.

Avec la fragilisation des valeurs des lumières, avec la montée de l'individualisme au dépit du bien commun, avec l'anéantissement des raisons de combattre, une à une, qui reste-t-il pour sauver la France, la liberté et la fraternité entre les hommes? Et à qui le tour d'y succomber?