Plateforme
6.9
Plateforme

livre de Michel Houellebecq (2001)

En l’absence d’amour, rien ne peut être sanctifié

En nous ruant vers la liberté sexuelle dans un désir d’individualisme, persuadé que nous y trouverions notre salut, nous avons perdu l’amour. Et le personnage Houellebecquien n’est pas tant machiste que dénué d’amour. C’est le fond du problème : nous avons perdu l’amour, et l’amour c’est le sacré. Plus rien ne peut être sanctifié car nous ne reconnaissons plus de valeurs aux choses, alors tout devient dérisoire. Mais la liberté sexuelle a aussi été un échec. Le rêve de 68 a été tué dans l’œuf, récupéré par le libéralisme, marchandisé. Le sexe n'est plus qu'un outil de vente honteusement répugné dès qu'il est ouvertement pratiqué. Nous sommes bien plus prudes que nos parents, bien plus moralisateurs et il ne nous reste pas grand chose pour accéder au bonheur.


Tout est symptôme de ce mal : la place grandissante du carriérisme, la course à l’argent, les difficiles relations humaines, le délitement de la famille, l’essoufflement du mariage. C'est là, sous nos yeux. C’est ce que Houellebecq observe à travers ses personnages. On lui reproche d’être sans style et d’être atrocement déprimant, mais c’est parce que ses personnages sont contaminés par cette perte et en sont les tristes résultats. Ce qu’on lui reproche d'être ou de montrer est précisément ce qu’il accuse à longueur de pages. Et pour le dire franchement, il a raison sur toute la ligne.


Mais dans Plateforme il se passe quelque chose. Michel, le héros du roman, accède au bonheur. Il trouve la femme de sa vie qui répond en fait à tous ses fantasmes sexuels. Mais que nous autorise la morale aujourd'hui ? Est-ce qu'à être sans cesse dans la condamnation et dans le jugement de nos propres valeurs, nous n'avons pas prohibé la moindre forme de félicité ? L'antiracisme et le féminisme acharné ont contribué à saper notre propre culture. Nous avons honte de nous. Nous vivons de pudeur et de sermons et nous nous refusons même notre propre liberté sexuelle.


Houellebecq vise juste. Ce qu'il dit n'est pas à prendre comme une généralité individuelle mais comme un regard large sur notre société qui s'acharne depuis des siècles à émousser ses bases. Rien d'étonnant à voir aujourd'hui tant de trentenaires célibataires se ruer sur les sites de rencontre en quête d'amour. Nous avons tout fait pour en arriver là. Rien d’étonnant non plus à voir quelles réactions provoquent les livres de Houellebecq chez certains et chez les chantres de la morale, puisque c'est précisément à eux qu'il s'attaque.

-Alive-
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Sur mes étagères il y a... et Mes Lectures 2017

Créée

le 11 nov. 2017

Critique lue 1.8K fois

17 j'aime

8 commentaires

-Alive-

Écrit par

Critique lue 1.8K fois

17
8

D'autres avis sur Plateforme

Plateforme
Eneeria
2

Le cul, c'est la vie.

On m'avait vendu: - une discussion intelligente sur le tourisme sexuel et la prostitution - un roman sensible, plein d'humanité, de vulnérabilité et de misère sexuelle - un "regard cynique sur la...

le 2 déc. 2022

18 j'aime

13

Plateforme
-Alive-
9

En l’absence d’amour, rien ne peut être sanctifié

En nous ruant vers la liberté sexuelle dans un désir d’individualisme, persuadé que nous y trouverions notre salut, nous avons perdu l’amour. Et le personnage Houellebecquien n’est pas tant machiste...

le 11 nov. 2017

17 j'aime

8

Du même critique

The Life of Pablo
-Alive-
9

Conseils à ceux qui s’apprêtent à écouter l’album

• Oubliez que Kanye West est un connard, ça ne vous poussera qu’à de mauvaises intentions. • Ne regardez pas la pochette ! • Préparez vos oreilles à l’autotune. • Après la première écoute, si...

le 20 févr. 2016

126 j'aime

19

Le Petit journal
-Alive-
1

Cracher sur tout ce qui n'est pas Nous

Crache sur les religieux, crache sur les vieux, crache sur les provinciaux, crache sur Arte, crache sur le service public, crache sur la politique, crache sur la mode, crache sur les geeks, crache...

le 10 nov. 2014

124 j'aime

24

The Wall
-Alive-
10

Un spectacle

On ne peut forcer personne à aimer une oeuvre. C'est inutile et agaçant, et puis chacun sait qu'en vérité nos coups de cœur tiennent plus souvent de la surprise que d'une écoute forcée et assidue...

le 25 juil. 2014

91 j'aime

14