Il y a quelques mois, lorsque j'ai entendu parler pour la première fois de ce livre à venir, j'étais plutôt emballé. Constance Debré, avocate de son état, petite-fille du père de la Constitution, fille de François, et nièce de Jean-Louis et Bernard, s'apprêtait à faire vaciller la dynastie avec son premier roman. Elle avait des choses à dire et ça s'annonçait assez rock'n roll.
18 janvier. Ma petite libraire préférée, D., s'effondre à mes pieds :
« Mais pourquoi ? Pourquoi avoir changé d'avis ? Vous m'en aviez parlé pourtant, alors je l'ai lu, et c'est formidable, je vous assure. Et puis vous me l'avez toujours dit, vous n'avez qu'un critère de choix : de la littérature AVEC estomac (1). Et là on est en plein dedans. »
« N'insistez pas D., j'ai vu Constance, je l'ai entendue parler de son "bébé" et le coup de la nana à patronyme connu encanaillée qui a une double révélation, Je me suis découverte lesbienne et je veux devenir écrivain, punk de surcroît, ça ne va pas le faire. Les Virginie Despentes aux petits pieds, très peu pour moi, la copie, l'originale tout ça tout ça. Et puis entre nous, j'ai un peu mené mon enquête, Stock et Miss Debré nous empapaoutent, ils nous font le coup du premier roman alors qu'elle en a déjà signé deux auparavant. C'est louche tout ça, ça pue l'insincérité, ça renifle le truc bien préfabriqué. Hors de question que je cède au ramdam médiatique, vous le savez chère D, j'ai des principes, je suis incorruptible tout ça tout ça... »
10 février. D. vient vers moi, un petit sac opaque dans ses mains tremblotantes :
« Tenez, vous me direz ce que vous en pensez, on en discutera. »
Je suis un petit être faible, je l'aime ma petite libraire, je ne veux pas faire saigner son petit cœur. Les principes, l'insincérité, l'incorruptible, le ramdam médiatique tout ça tout ça, hop je les mets dans ma culotte et je repars, un peu honteux, avec Constance...
20 février, 02:00 du matin. Verre de vin à ma droite, paquet de cigarettes à ma gauche, je m'apprête à lire un truc punk, non ? Alors je me mets au diapason...
« ... L’huissier est beau, il est pédé, en plus il est arabe. Ça change des cotorep habituels. Il me fait passer avant les autres. Je plaide. Trafic de shit. Faut voir les dealers. Faut voir le trafic. Je plaide doucement. Je m'approche de la barre. Les juges m'écoutent. Je m’approche encore. Je ne plaide pas je raconte. Je raconte ce qu’ils veulent entendre. Le bon garçon. Le bon lycée. La bonne famille. Même la proc ne demande que du sursis. Ça mouille pour la bourgeoisie, un juge. C’est comme ça que j’ai connu Agnès. En défendant son fils. Bien sûr il est sorti. Un bourgeois, ça ne fait pas de taule. »
« La première dérogation, c'est elle. En silence, en souriant, elle m'a serrée contre elle. Pour me saluer, sans un mot, elle m'a prise dans ses bras, longtemps. Contact mat et doux de sa veste en cuir. Sa mesure, petite contre moi. L'odeur bistrée, brune, musquée, sucrée, odeur salée de terre, de cuir. Son parfum et derrière le parfum son odeur, très vite identifiée, repérée, guettée. »
« ... Je suis retournée à l'école. Ils m'ont fait sauter une classe. J'ai laissé tomber la grande inquiétude. On se lasse de tout. De tout, mon amour. J'ai géré. Ou je suis passée à autre chose. »
« ... Je souris quand je dégrafe son soutien-gorge. Je ne sais plus si c'est elle ou moi qui me déshabille. Je la caresse. C'est moi qui suis sur elle. C'est moi qui embrasse ses seins, qui caresse sa chatte. C'est moi qui la baise. Ses yeux remontent et son visage se lisse quand elle jouit. Elle s'endort. »
« ... quand l'embrassant c'est le corps que la main tient, par les hanches, les épaules, le creux de la nuque, quand l'embrassant c'est le corps que la main caresse, quand ce sont les lèvres, à peine, quand c'est la bouche, et ma main un peu dure sur ses côtes, quand c'est le corps lointain, quand c'est le corps tenu, quand c'est le corps pressé. »
« Elle ne parle jamais d'amour, elle ne parle jamais de moi, elle ne fait aucun geste, elle étire son sexe sous ma bouche. »
« Tout doucement, encore et encore, le temps, les heures, la lenteur. Je me fous du plaisir, c'est le désir que j'interroge, un désir que je ne connaissais pas, un désir qui ne finit pas. Blancheur de ces jours-là, de la lumière pâle, de sa peau, blancheur presque rose des soirs de cinq heures, quand elle va venir bientôt, quand l'heure penche vers elle. Peut-être que je ne connaissais pas la douceur et quelque chose de fermé aussi, de dur, qui paraît ne pas pouvoir mentir. »
« Un corps de femme c’est fait pour y mettre la main, la bouche, une femme c’est fait pour être baisée. Des seins c’est fait pour être touchés, un cul c’est pour venir s’y caler, une chatte pour y plonger la gueule, pour en sentir l’odeur, y glisser la langue, les doigts, en sucer le goût, ce putain de goût si doux. Il n’y a pas un homme qui puisse rivaliser avec ça. Je comprends ceux qui vont aux putes. Je comprends même les violeurs. Pour la première fois, je sens comme une piqûre toute la violence du désir... »
« ... Tu me plais cynique et fraternelle. Ne me tiens pas la main, ne me dis pas que tu m'aimes. Vois comme je me mords les lèvres, c'est par pudeur que je te lèche les seins. On était là pour le meilleur, très vite, puisque le pire arrive toujours, et que le pire on l'enculait. La tragédie a tout de suite fait partie du deal, je crois. »
« ... j'aurais attendu que tout le monde soit servi, et je le leur aurais dit, mais spécialement pour emmerder mon grand-père que personne n'a jamais osé emmerder dans la famille, tellement ils en avaient tous besoin de sa grandeur alors que c'était vraiment une merde à mon avis, en tout cas moi c'est vrai j'ai jamais pu le blairer [...] et que ça me fait bien marrer l'admiration des autres pour tout ça, comme si c'était les Kennedy alors que question style c'était juste hyper gênant en fait, et je vais même pas parler de leur morale, de leur petite morale de merde, mais tout ça naturellement c'est la même chose, donc, je leur aurais dit J'ai un truc à vous dire, cher grand-père, chère famille paternelle coincée, parce que les aristos de maman ils sont peut-être tarés et quasi analphabètes mais au moins la vieille tante elle couchait avec Arletty et tout le monde s'en foutait parce que c'était quand même moins grave que les châteaux qui brûlaient et le magot qui fondait, et puis leur obsession à eux c'est la goutte de sang juif qui se balade, malgré les millions que ça leur a apportés, tu crois que j'ai le nez juif ? mais du côté de papa de toute façon on a un grand rabbin dans la famille, c'est sûr c'est un peu gênant, mais maintenant qu'on est bien blanchis on fait même genre c'est classe, donc je reprends Chère famille paternelle un peu cul serré que j'aime bien aussi parce que j'insiste, ils sont souvent très sympas aussi, mais lui, le grand homme et tout le tsoin tsoin qui m'avait bien fait rire quand je l'avais vu un jour dans son bain, tout con, avec sa bite de ministre qui flottait dans l'eau tiède, même si j'adore absolument porter son putain de nom, merci grand-père, [...] je reprends, oui, pardon, ting ting ting, couteau sur le verre, j'ai une nouvelle qui personnellement me réjouit comme dans jouir et que je me réjouis toujours comme dans jouir de vous dire, attention ouvrez bien vos oreilles, avalez bien votre bouchée, préparez le verre d'eau et les cachets, Ludivine les sels !, tout le monde me regarde ? tout le monde m'écoute ? Je bouffe des chattes, je suce des tétons et je glisse mes doigts dans leurs jolis petits culs, grand-père, mamie, chers oncles, chères tantes, ma chère Ludivine, je suis gouine. Ben alors, Ludivine, cette salade verte ? Le problème c'est qu'il n'y a plus de domestiques de nos jours. »
« Un jour je n'aurai plus envie d'elle, ou elle de moi, et ce sera fini et c'est pour ça qu'avec elle il faut encore et encore des villes et sa peau et sa bouche et on part où le week-end prochain et demain après-midi viens dans mon lit et après on descendra au café et après on repartira se coucher et jusqu'à ce que je n'aie plus de salive et jusqu'à ce que mon corps n'en puisse plus de sommeil. Elle, jusqu'à la syncope... »
20 février, 05:52 du matin. Je n'ai pas pu quitter Constance de la nuit, on a fumé des clopes, bu des verres, fumé des clopes, bu des verres... J'ai compris dès la première page que mes principes tout ça tout ça, j'allais les fumer eux aussi. Oh non je n'ai pas lu le livre parfait, loin de là, mais oh oui, j'ai eu l'impression de voir naître sous mes yeux un écrivain, je n'avais probablement pas ressenti ça depuis le "Baise-moi" de Despentes (Les principes dans la culotte tout ça tout ça), ce bonheur de dévorer frénétiquement la sécheresse des mots crachés sur le papier, écrits comme elle parle, personne ne m'avait dit l'homosexualité, le sexe, les corps, la poésie punk de cette façon depuis Guillaume Dustan.
La littérature, finalement c'est simple, c'est juste la faculté de savoir écrire ça : « Quitte ou double mon amour. Je ne suis pas gay. Moi aussi, moi non plus. Mords-moi les seins. Ce n’est pas homo, c’est sexuel. »
Tu sais quoi, les principes tout ça tout ça, va te faire enculer 47 fois...
« Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer.
Va te faire enculer. [...]
J'ai passé une nuit comme ça. À penser à Laurent. J'ai pris un avocat le lendemain. Pour le divorce et pour mon fils. J'ai oublié d'aller nager... »
(1) Oui oui je sais, j'ai fait le malin en reprenant à mon compte le concept cher à Pierre Jourde.