Imaginez un monde virtuel. Plus fort que Tron. Encore mieux que Matrix. Oubliez aussi l'Animus d'Assassin's Creed. Vous êtes dans l'O.A.S.I.S, le jeu vidéo ultime. Un univers assez vaste pour contenir tous les mondes imaginaires possibles et imaginées par les écrivains, cinéastes, et bien sûr concepteurs de jeux-vidéos. Car l'O.A.S.I.S contient tous ces mondes : la Terre du Milieu, l'étoile Noire, World of Warcraft...et bien d'autres encore. Sur l'O.A.S.I.S, vous pouvez combattre, utiliser la magie, les technologies les plus folles, avec un réalisme absolument époustouflant. Les graphismes pixélisés des premiers jeux vidéos sont bien loin de tout cela. Mais ce n'est pas tout : sur l'OASIS, il y a aussi des lieux pour apprendre, pour faire du shopping, organiser des colloques professionnels...
L'O.A.S.I.S, c'est Second Life, l'imaginaire en plus. Et il est d'autant plus fabuleux que, pendant ce temps, le monde réel est en souffrance. Nous sommes en 2044, et les crises économiques et climatiques sont à l'origine de populations appauvries et d'une misère sociale enrichie.
Alors imaginez qu'à sa mort, le créateur de l'O.A.S.I.S, James Halliday, laisse pour tout testament son immense fortune à celui qui parviendra au boût d'une chasse au trésor géante organisée dans tout l'O.A.S.I.S : l'engouement est mondial, et chacun veut tenter sa chance. Nous suivons le héros, Wade, alias Parzival, dans cette quête vers le trésor de tous les trésor : un Œuf de Pâques permettant d'accéder à des milliards de dollars.
En apparence, le sujet est prometteur. Imaginer un monde aussi vaste, aux possibilités aussi immenses : il y a de quoi aiguiser pas mal d'appétits. Le concept de la chasse au trésor, concept basique certes, mais qui permet d'avoir un bon prétexte pour visiter cet incroyable univers virtuel, pourquoi pas ? Lançons-nous.
Les premières pages se tournent...et rapidement les premières illusions tombent. Le problème vient peut-être de la traduction (je l'ai lu en Français, je l'avoue)...mais l'écriture parait tellement plastifiée, artificielle que ça gâche beaucoup, beaucoup trop le fil de l'histoire.
Aesh: Wesh, mon pote !
Parzival : Salut, cousin !
Je n'ai absolument rien contre l'oralité, mais premièrement, n'est pas Bukowski qui veut, et deuxièment, quelle pertinence ce type de vocabulaire peut-il avoir dans ce type de romans ? En dehors de décrédibiliser les personnages et le roman dans son ensemble, en voulant se doter d'une touche djeuns. ("Djeuns", vous savez ce mot utilisé par les plus de 50 ans pour parler des moins de 25 ans ?)
Tout au long de l'histoire, on retrouve tous les clichés du scénario écrit à l'avance : une histoire d'amour adolescente où on ne parle jamais ou presque de sentiment, ce qui est plutôt dommage. Les méchants sont des méchants. Pourquoi ? Parce qu'il sont méchants. (Ah d'accord...). Le débat moral est quasi nul, manichéen à souhait (sauf que n'est pas George Lucas qui veut) et surtout sans la moindre surprise. Tout est attendu. Au moment où, dans l'antre du mal (ce qui l'ont lu comprendrons), le héros se retrouve devant le choix de rejoindre le côté obscur. Si seulement il l'avait rejoins, là ça aurait été une surprise (petite mais ce serait déjà ça), mais il n'hésite même pas, malgré une proposition alléchante à bien des égards et fonce tête baissée
en sacrifiant tranquillement ce qui lui reste de famille.
Et enfin, pour terminer, on peut aussi diagnostiquer un autre cas de ce que j'appellerai "le syndrôme de Rey", en référence à l'héroïne de Star Wars : Le Réveil de la Force : à savoir un héros - jeune si possible - qui devient de manière tout à fait inexplicable-mais-expliquée-quand-même (contrairement au principe d'élu comme Néo dans la saga Matrix) LA personne qui peut résoudre n'importe quel soucis d'un claquement de doigt scénaristique : pour avancer dans sa chasse au trésor, on a l'impression que le personnage attend le coup de bol, l'éclair de génie qu'il sera bien entendu le seul à avoir (enfin avec Aech, Art3mis, Daito et Shoto). Bref, c'est mille fois trop facile pour lui.
En toute franchise, j'ai l'impression que ce livre n'est pas un roman : il est bâti comme le scénario d'un blockbuster (pour preuve, il va en devenir un), et on peut se demander s'il n'a pas été écrit dans le seul but de servir d'argument aux futurs producteurs du film.
AUTEUR : Hé, m'sieur le producteur, regardez, j'ai un bon scénario, ça pourrait faire un super film !
PRODUCTEUR cigare aux lèvres Mouais...ça peut être pas mal...mais j'aimerai être sûr que ça va marcher...
Un peu plus tard
AUTEUR : Hé, m'sieur l'éditeur, regardez, j'ai un bon scénar...un bon roman, ça pourrait faire un super fil...un bon roman !
EDITEUR : Hmmm...pourquoi pas essayons.
Un peu plus tard
AUTEUR : Hé, m'sieur le producteur ! Vous avez vu le succès de Player one ?
PRODUCTEUR : Ok, j'appelle Spielberg. SONNEZ TROMPETTES
J'exagère peut-être un peu.
Je n'ai rien contre ce principe. Beaucoup de livres sont en réalité des objets conçus comme des scenarii et la réalisation filmique de ces histoires dépend du succès en librairie. Harry Potter est en cela un très bon exemple, ce qui n'enlève rien à sa qualité.
En revanche, ce qui me dérange, c'est qu'on présente (ou précisément qu'on m'a présenté) Player One comme l'avenir de la littérature de SF. Quand on voit ce qu'on trouve aujourd'hui en véritable littérature de SF, comme genre qui s'assume en tant que littérature et non comme scénario, Player One n'a rien de comparable. Les sagas de Peter Hamilton, excellentes incarnation de la SF contemporaine, n'ont rien à craindre de ce type de littérature adolescente et mainstream (là encore je n'ai rien contre le mainstream).
Enfin, j'aimerai juste conclure sur un dernier point. Il y a un esprit que je trouve presque inquiétant dans ce roman, c'est le culte absolu des personnages, mais probablement aussi de l'auteur, pour la culture Geek des années 80. Non pas que je trouve cette culture mauvaise, bien au contraire, mais c'est qu'il y a derrière ça une forme de nostalgie pour ces années que les plus jeunes n'ont pas connus. J'ai l'impression qu'il y a ici la définition exacte que Kundera donne à la notion de Kitsch :
« Le kitsch, par essence, est la négation absolue de la merde ; au sens littéral comme au sens figuré : le kitsch exclut de son champ de vision tout ce que l'existence humaine a d'essentiellement inacceptable. »
Ce kitsch qui n'est qu'un gommage, quelque chose d'artificiel (à l'image des dialogues et globalement de ce scénario). Voilà l'image que j'ai de la vision qu'il veut donner des années 80. Oui effectivement, cette période pouvait être très sympa, très exaltante pour la culture Geek qui est née de cette époque. Mais bon sang, arrêtez d'idéaliser ce passé, M. Cline ! Les années 80 sont votre jeunesse. Elle vous manque, comme la notre nous manquera quand nous aurons votre âge.
En résumé, ce roman repose sur un bon univers de départ. Et c'est tout. Le reste, c'est du kitsch, de l'artificiel, du robotique. C'est du faux. Du virtuel, aussi virtuel que l'O.A.S.I.S.
Il y avait tellement mieux à faire. Espérons que le film fasse mieux que ce scénario imprimé. Enfin, il n'est pas sûr que je me déplace en salle obscure pour voir une histoire aussi décevante.