Je voulais que la musique jaillisse des baffles, vous saississe à la gorge et vous cogne la tête con
Ce sont six cents pages (environ) que j'ai avalées sans m'arrêter. Le livre se présente comme une suite de témoignages; toutefois, ils sont rarement contradictoires et n'ont pas tous le même statut: la plupart sont tirés d'entretiens réalisés par les auteurs, quand quelques-uns, mais pas les moins importants, proviennent d'une bibliographie soigneusement indiquée en fin de volume. Je considère donc que le travail de montage est suffisamment important pour considérer que c'est bien le point de vue desdits auteurs que nous suivons.
Ce livre a eu une audience considérable, et en le lisant je me suis aperçu que nombre d'articles lus précédemment se contentaient de le résumer. Le mouvement punk est identifié (globalement) à l'Angleterre (lieu), aux Sex Pistols (musique) et à; disons, Vivien Westood (fringues). Or, il n'en est quasiment pas question ici; on reste aux Etats Unis pratiquement tout le temps et on trace la généalogie du phénomène anglais, vu comme la parodie exagérée de l'original.
Ainsi, j'ai eu la surprise de commencer par l'histoire mainte fois rebattue de la transmission Velvet-Stooges-MC5-New York Dolls = Television/Richard Hell/Ramones, etc. C'est tout de même plaisant. Mais il faut soi-même faire l'effort de distinguer la lignée "littéraire" qui va du Velvet à Patti Smith, de la lignée "physique" qui irait des Stooges aux Dead Boys, musicalement parlant; car on parle finalement assez peu de musique dans ce livre, vu que tout le monde dit faire du rock'n roll, et que cette définition est suffisante, et un peu davantage des paroles, essentiellement pour expliquer qu'elles sont au ras de la réalité (prostitution, drogues, etc) ou rimbaldiennes. Non, ce qui fait le fond du livre, ce sont les rapports entre des gens d'un tout petit milieu (on parle à un moment donné d'une centaine de New-Yorkais), les drogues et le rejet d'un mode de vie normal.
Au fur et à mesure de la lecture, en lieu et place de l'histoire d'un genre musical ou d'un phénomène social, le livre se révèle comme le tombeau de quelques personnes: Johnny Thunders et Stiv Bators en premier lieu, Nico, Connie et toutes les autres filles; comme le récit de la conversion d'autres: Patti Smith, Debbie Harry ou les MC5; et enfin comme l'invraisemblable survie d'Iggy Pop à ses turpitudes. Toutes ces trajectoires ont des allures d'anti-vies de saints, amplifiées par la structure en témoignages. On peut être plus ou moins touché par les uns ou les autres. J'avoue ma préférence pour l'histoire des Ramones et d'Iggy.
Voilà pour l'ensemble. Mais, soyons sérieux, ce livre est surtout une énorme somme d'anecdotes comme on peut en raconter autour d'un verre, ce qui le rend très pratique: on l'ouvre n'importe où, et on trouve deux ou trois paragraphes de drogue, de jeunesse, de putasserie, de rock'n roll. Je note en vrac ce que j'ai retenu:
- Paul Morrissey est une langue de pute incroyable.
- Nico et Patti Smith ont vraiment couché avec tout le monde, et ce par amour de l'art.
- il y a toujours quelqu'un pour ramasser Iggy Pop dans un caniveau, dans une piscine, ou pour lui dire qu'il a un gros trou dans le crâne.
- les MC5 ont créé les White Panthers et se sont fait attaquer par la police pendant un concert grandiose.
- Patti Smith était la seule à ne pas prendre de drogue parce qu'elle était dans le même état que les autres à l'état naturel.
- les groupes américains étaient effrayés par l'agressivité des punks anglais, le public davantage que les musiciens.
- l'existence du Théâtre ridicule, avec des paillettes et des freaks (au sens du film de Browning...).
etc. (ce etc. comprend toutes les histoires de chutes, de je m'étends sur la route, de je me roule dans du verre pilé, de je deviens violet, liées aux drogues)
Ce n'est donc pas dans ce livre que vous trouverez des réflexions sur le punk. On parle même assez peu de musique, au sens où, si on n'a pas idée de la musique faite par ces gens, on ne peut l'imaginer que superlative ("Ouais, Search and destroy, quelle putain de chanson"), et c'est à peu près tout. Comme l'histoire minore complètement l'Angleterre et ignore les autres pays (certes, ne parlons pas du punk japonais, mais Nina Hagen et Stinky Toys ne son pas mineurs), ce livre me paraît être le pendant humain de Lipstick Traces, centré sur les Pistols.
Bref: livre jouissif.
Et, moi qui ai perdu depuis longtemps foi dans le rock'n roll, je réécoute en boucle Fun house et Marquee Moon.
PS: bien sûr, j'ai lu ce livre parce que je savais qu'il était la matrice d'Outrage et rébellion; c'est un peu plus que cela. Si vous êtes dans mon cas, je ne dirais qu'une chose, peu croyable: tout ce qui est dans le roman de Catherine Dufour est dans Please Kill Me. Pas les foetus en boucles d'oreilles, bien sûr, mais beaucoup, beaucoup de choses. Des phrases entières, je pense.