Une cinquantaine de chapitres qui sont autant de coups de machette dans notre grande et belle Nature Humaine. (Cf. Sa Majesté des mouches, la Route, etc.)
Plop, c’est le nom du personnage principal, car « c’est le bruit qu’il a fait en tombant dans la boue » (p. 25) à la naissance. Mais pour l’ambiance, en attendant qu’il existe une onomatopée pour signifier les grincements de dents, ce serait plutôt aïe ! Pour faire simple, par rapport à l’univers bâti par Rafael Pinedo, le monde de Mad Max ressemble au Montmartre d’Amélie Poulain.
Plop ressemble au squelette difforme d’un monstre : hideux – mais le corps qu’il y a eu autour des os est plus hideux, plus difforme, plus atroce, plus monstrueux encore parce qu’on ne le voit pas, parce qu’il faut l’imaginer. Il faut ; c’est-à-dire que le lecteur n’a pas d’autre choix – ou alors on repose le livre, entre une facture de gaz et la publicité pour le sushi du bout de la rue, qu’il aura bientôt rejointes à la poubelle. Pinedo ne fait pas dans le détail – c’est-à-dire qu’il ne rentre pas dans les détails – lorsqu’il évoque (dans le chapitre intitulé « La fête », p. 50) « la cérémonie du Tout est Bon, lorsque chacun faisait ce qu’il voulait, comme et avec qui il le voulait », c’est-à-dire aussi ce que le lecteur peut se représenter – et il a compris au bout de quelques pages qu’il doit se représenter le pire.
Plop est un récit post-apocalyptique mais ne comporte pas de ces longues digressions, de ces analepses explicatives qui alourdissent plus d’une production du genre. Sans dates, ni lieux précis – à cet égard Plop est un conte –, des phrases courtes disséminées çà et là suffisent à mesurer l’ampleur des dégâts : « Le sol est plat. Sous les ordures, c’est toujours plat. / La Plaine, c’est comme ça qu’on l’appelle. L’horizon est à peine troublé par de grands amas d’ordures. / Les voyageurs disent que loin, à plus de trente jours de marche, le sol se soulève, qu’il y a des parties en pierre, qu’il n’y a ni gravats ni fer. / Mais personne ne les croit. / […] Sur la Plaine, il y a dix ou douze Groupes qui errent. Et des gens isolés, jamais plus de deux ou trois » (p. 20). Au lecteur de reconstituer ce qui nous / les a amenés là.
On parle d’une société que la famine chronique a poussée au nomadisme, ravagée par la superstition, gouvernée par une sexualité brutale et crue, une société où la seule loi est celle du plus fort et dans laquelle le mot famille est « un concept nouveau pour les jeunes et extrêmement archaïque pour les autres » (p. 64) : pourtant, Plop ne verse jamais dans le conte édifiant, dans la mise en garde, ne lance aucun appel à la raison, ne propose aucun plaidoyer explicite en faveur de la culture et de l’humanisme. Dans le livre de Pinedo, la lecture est une activité magique parmi d’autres : « Plop ne comprenait pas un seul mot, mais, comme les autres, ses yeux étaient rivés sur elle [la vieille Goro], qui continuait à lire » (p. 53). Là encore, s’il y a un quelconque message dans Plop, c’est au lecteur de le déchiffrer.
« Des barbares, des barbares ! », répète la vieille Goro qui soigne le personnage éponyme, « et elle riait » (p. 33). Un peu plus tard, c’est un personnage qui déclare « On est pas des sauvages » avant d’ajouter : « Si quelqu’un peut être utile, on l’accepte » (p. 77). C’est que les personnages de Plop ont aussi leur barbarie et leur culture. La sauvagerie est ce qui les fait rire, à la façon d’un môme qui ricane en découpant les ailes d’un papillon ou d’un type qui diffuse un passage à tabac sur Youtube. La civilisation est celle du profit, celle où l’humanité se compose de ceux qui servent à quelque chose et de ceux qui ne servent à rien : « Plop savait qu’il fallait rejeter les coutumes seulement quand ça en valait la peine. Lorsque le bénéfice était plus grand que le châtiment. / Car il y avait toujours châtiment quand quelqu’un rejetait la coutume » (p. 124).
Le court roman de Pinedo ne propose pas vraiment de néologismes, mais plutôt des échantillons d’une novlangue, qui en tant que telle consiste à donner aux mots d’autres sens que leurs sens. Car il est aussi une exploration du langage, comme toute littérature – et plus spécialement encore la littérature post-apocalyptique ? – devrait l’être. Dans Plop, on comprend plus ou moins tôt que le mot utiliser désigne le coït.