Il s'agit là de la dernière pièce connue du dramaturge de l'antiquité grecque Aristophane. Dans la comédie Ploutos, il s'intéresse à la richesse, à son pouvoir, à sa place dans la société athénienne, et à son essence.
Il met en scène un maître et son esclave dont les destins vont croiser celui de Ploutos, le dieu des richesses qui a été aveuglé par Zeus afin qu'il ne puisse enrichir les honnêtes hommes comme il le souhaite.
La pièce commence par un raisonnement des protagonistes sur la supposée puissance ignorée du dieu Ploutos dans la cité, mélangeant avec une certaine maladresse la poursuite de l'argent comme moyen d'améliorer sa vie avec l'enrichissement éhonté.
Ploutos, qui se plaint de n'attirer à lui que les gens malhonnêtes, regrette de ne pouvoir agir à son aise à cause de Zeus.
De là, s'avance une folle hypothèse. Et si Ploutos retrouvait la vue, pouvant alors procurer tous les bienfaits qu'il souhaite à ceux qui (selon les normes admises de la société athénienne) le méritent ?
Plutôt qu'une éloge de la pauvreté comme l'annonce une préface dans une édition de la fin du XIXème siècle, la pièce semble d'avantage se comprendre comme une analyse des conditions de l'extrême richesse, en ce qu'elle implique la pauvreté (des ouvriers en particulier); ce que l'allégorie de la pauvreté elle-même s'empresse de rappeler aux protagonistes acquis à l'élévation dans la cité du dieu de l'argent au rang de divinité suprême (vous regretterez de m'avoir chassé, vous avez besoin de moi). Ces derniers ne pourront nier leur dépendance à l'assujettissement et au dévouement des hommes pauvres, ceux-là furent-ils à dénicher à l'étranger.
Contrairement à ce qu'on aurait pu penser Ploutos n'est donc pas une critique de l'égale répartition des richesses, ce concept étant absurde dans une époque notamment marquée par l'esclavage.
Il y est somme toute question de la condition de rentier, étendue à une catégorie de personnes : les citoyens honnêtes. Mais plus cette condition excessive s'étend, plus le besoin de serviteurs dans une société encore peu avancée technologiquement se fait sentir. La méritocratie elle-même, associée à la richesse, ne pourrait pas éradiquer la pauvreté, même s'il cessait d'y avoir des gens malhonnêtes, puisque dans un monde de ressources limitées l'enrichissement extrême suppose l'assujettissement.
En extrapolant on voit donc quels dilemmes posent l'esclavage et l'exploitation à l'époque, et cela raisonne encore aujourd'hui.
Les conséquences d'une libération du travail par la technologie seront pour leur part explorées dans un genre bien ultérieur de littérature, la science fiction notamment avec le polonais Stanislas Lem.
Aristophane, de son côté, explore d'avantage des conséquences collatérales de cet enrichissement des honnêtes citoyens, qu'elles soient bonnes ou mauvaisses.
La disparition de l'artisanat, du commerce, et de la dévotion envers les dieux.
Pour cette dernière, on peut la comprendre comme la perte d'utilité du service religieux, à l'image de ce prêtre démuni qui veut rejoindre les protagonistes dans leur jouissance, preuve que l'activité religieuse n'a alors pas grand avenir sans le dénuement des uns et l'enrichissement des autres.
L'autre conséquence est abordée là aussi à travers un ironique abandon du royaume des dieux par Hermès, le dieu des messagers et du commerce, qui cherche alors lui aussi à se rendre utile aux protagonistes, nouveaux détenteurs des plus indécentes richesses.
Finalement, la pièce d'Aristophane n'avance pas forcément comme une préfiguration des traditions chrétiennes que la pauvreté est préférable à la richesse, mais oppose dans une argumentation dialectique bien à la grecque les allégories de ces deux conditions matérielles, et nous amène à réfléchir au lien que les deux absolus entretiennent.
C'est là je pense la force de ce genre d'ouvrage. Il fait réfléchir à des sujets fondamentaux sans pour autant endoctriner.