A tous les esclaves saturniens.... Une beauté d' une fragilité et sensiblité, presque impudique.....

Bonjour à tous,


Le premier des recueils de Verlaine, sorti en 1866. Un premier recueil placé sous le signe de la mélancolie et de la rêverie amoureuse. Des thèmes empruntés aux romantiques: la nature, la femme idéale, qui consolent le poète de sa solitude et de l'incompréhension, thèmes récurrents pour cette période.
On se laisse bercer par la douceur et l'harmonie, la musicalité du vers.
Verlaine a innové en utilisant le vers impair pour casser la régularité.
Paysages mélancoliques, simplicité du langage, lyrisme confidentiel, calme, naïveté apparente, tout se conjugue pour créer une sorte de tristesse langoureuse qui vous emporte...


Tout Verlaine est là dans "Poèmes saturniens". Si les grandes orgues baudelairiennes y résonnent quelquefois, le lecteur entend d'abord et surtout une voix nouvelle, celle d'un jeune poète pour le moins maître de ses moyens.
La précocité extraordinaire d'Arthur Rimbaud ne doit pas nous faire oublier que "le pauvre Lélian" avait pendant son adolescence déjà conçu une partie de ce recueil et n'avait au total que vingt-deux ans à sa parution.
Il convient d'ailleurs de noter que certaines pièces dudit recueil figurent parmi les poèmes les plus célèbres de Verlaine : "Mon rêve familier, Promenade sentimentale, Chanson d'automne, Soleils couchants, Nevermore".
En quoi se caractérise l'art verlainien ? Huysmans en a si bien décrit quelques aspects essentiels : "il avait pu exprimer de vagues et délicieuses confidences, à mi-voix, au crépuscule. Seul, il avait pu laisser deviner certains au-delà troublants d'âme, des chuchotements si bas de pensées, des aveux si murmurés, si interrompus, que l'oreille qui les percevait, demeurait hésitante, coulant à l'âme des langueurs avivées par le mystère de ce souffle plus deviné que senti."
Simple en apparence, un tel art est renversant. Verlaine assouplit le vers par un emploi éminemment subtil du e qui devient ici émollient, caressant, duveteux. On a dit fort justement que, devant ces prodiges d'euphonie, tout mètre en comparaison conserve quelque dureté. C'est un enlacement de mots, riches d'assonances et d'allitérations, d'enjambements et de rejets, où se fait entendre une musique reconnaissable entre toutes. Sur le mode de la romance et de la confession, Verlaine en effet suggère plus qu'il ne dit, murmure plus qu'il ne parle, évoque plus qu'il ne décrit.
C'est le seul à ma connaissance qui ait su, grâce à la ténuité de son expression, donner forme à des tableaux impressionnistes chez lesquels les paysages mêmes deviennent le reflet de l'âme de l'auteur. Ses strophes incroyablement mobiles déroulent avec une simplicité savante leurs douces harmonies. Dans cet entre-deux de la pensée qui tantôt se dissimule et tantôt se dévoile, des confidences chuchotées enchantent nos oreilles. Verlaine est le poète intimiste par excellence, nimbé de mystère et de génie.
Nous ne pouvons que l'aimer.


Verlaine, 22 ans, bombe le front immense d'orgueil et de folie pour de se hausser à la hauteur de Baudelaire. Il sera poète, et il sait déjà toutes les beautés à venir de sa poésie : les mètres courts, la musique, le génie de l'image. Mais plus encore, Verlaine montre ici un talent qui m'est cher : il sait éconduire sa Muse. Rimbaud dira plus effrontément « J'ai assis la Beauté sur mes genoux. − Et je l'ai trouvée amère. − Et je l'ai injuriée ». Quel frimeur.
Ici Verlaine se proclame parnassien, parnasso-baudelairien devrait-il avouer (du type « je hais le mouvement qui déplace les lignes ») mais touche à tout autre chose que des réminiscences antiques, que des émaux et camées ou des vases (« nous qui ciselons les mots comme des coupes / Et qui faisons des vers très froidement » écrit-il). Tout cela – comme le titre – est surcomposé. Verlaine déplace en vérité les lignes, ondule, s'évapore, il anime les choses, quoi qu'il professe. Ici ses tableaux, ses regrets, ses Poèmes ruinent ce Parnasse imaginaire.
Verlaine consomme en creux l'idéal qu'il sculpte, et cette subtilité est à mettre en contraste avec la position brutale de Rimbaud évoquée plus haut.
Par ailleurs cela s'explique tout simplement par le fait que les Poèmes ont été cousus ensembles sous forme de recueil et encadrés de deux pièces d'art poétique. Je ne vois pas en effet comment on peut se placer sous la lumière nocturne et mélancolique de Saturne et ensuite (dans l'épilogue) sous le jour éclatant du Parnasse le plus apollinien. Et ce qui est beau, les amis, c'est qu'il sait cette contradiction. Il sait aussi « L'Imagination, inquiète et débile », le romantisme mièvre et épuisé, mais livre en même temps les pièces lyriques du « rêve familier » ou de « chanson d'automne » que chacun connaît. J'avoue adorer cette lutte intérieure, ce fécond travail du paradoxe intérieur, dont témoigne ce recueil.
Mais cela va plus loin à mes yeux, par le fait de cette invocation à Saturne. Car malgré tout on la lit, on la sent. Grande figure goyesque, présente dans la section « Caprices » du recueil et quelques autres visions, par cette évocation de Saturne c'est tout un intertexte rêvé qui se déroule dans notre esprit. Pour moi cela reste la figure nocturne détournée du monde qui se donne au début du poème inachevé « Hypérion » de Keats : majesté vide, dieu endormi, régnant sur un Temps mort. Verlaine touche ici à une réinvention, loin de Keats ou de la mort des dieux hölderlinienne : la nostalgie est consumée, les dieux sont morts et n'ont plus de corps, nous y voilà, les rêves ne sont que des fumées dont on se régale. C'est une vision nouvelle pour la fin de siècle qui s'annonce, univers de visions tremblées et de sensations nuageuses.


j'ai adoré ces poèmes. ils sont très beaux. d'une sensibilité surprenante, ils sont à la fois doux et mélancoliques, plutôt faciles à la compréhension (contrairement aux poèmes de Guillaume Apollinaire...) ils ne nous touchent que plus aisément. Je pense bien qu'après Baudelaire, Verlaine est le poète que je prefère, le poète qui me touche le plus. ils savent parler de spleen avec tant de grâce ! nous laissant nous même dans un état mélancolique après la lecture du recueuil. je vous le conseil vivement.


La musicalité des vers de Verlaine est envoûtante, et ici plus qu'ailleurs encore. Il faut se laisser porter au fil des mots, tant leur beauté réside dans l'entêtante musique dont Verlaine est l'artisan.
Le poète subjugue, et au fil de ce superbe recueil, on n'est jamais lassé de la virtuosité, si ce n'est du génie, dont il fait montre ici.
Je vous fait partager ici un poème issu du recueil, et que je trouve magnifique, intitulé "Marine":
"L'Océan sonore
Palpite sous l'œil
De la lune en deuil
Et palpite encore,
Tandis qu'un éclair
Brutal et sinistre
Fend le ciel de bistre
D'un long zigzag clair,
Et que chaque lame,
En bonds convulsifs,
Le long des récifs,
Va, vient, luit et clame,
Et qu'au firmament,
Où l'ouragan erre,
Rugit le tonnerre
Formidablement."


LIsez verlaine, il parle de lui-même :


NUIT DU WALPURGIS CLASSIQUE


C’est plutôt le sabbat du second Faust que l’autre.
Un rhythmique sabbat, rhythmique, extrêmement
Rhythmique. — Imaginez un jardin de Lenôtre,
Correct, ridicule et charmant.


Des ronds-points ; au milieu, des jets d’eau ; des allées
Toutes droites ; sylvains de marbre ; dieux marins
De bronze ; çà et là, des Vénus étalées ;
Des quinconces, des boulingrins ;


Des châtaigniers ; des plants de fleurs formant la dune ;
Ici, des rosiers nains qu’un goût docte effila ;
Plus loin, des ifs taillés en triangles. La lune
D’un soir d’été sur tout cela.


Minuit sonne, et réveille au fond du parc aulique
Un air mélancolique, un sourd, lent et doux air
De chasse : tel, doux, lent, sourd et mélancolique,
L’air de chasse de Tannhäuser.


Des chants voilés de cors lointains où la tendresse
Des sens étreint l’effroi de l’âme en des accords
Harmonieusement dissonants dans l’ivresse ;
Et voici qu’à l’appel des cors


S’entrelacent soudain des formes toutes blanches,
Diaphanes, et que le clair de lune fait
Opalines parmi l’ombre verte des branches,
— Un Watteau rêvé par Raffet ! —


S’entrelacent parmi l’ombre verte des arbres
D’un geste alangui, plein d’un désespoir profond,
Puis, autour des massifs, des bronzes et des marbres
Très lentement dansent en rond.


— Ces spectres agités, sont-ce donc la pensée
Du poète ivre, ou son regret, ou son remords,
Ces spectres agités en tourbe cadencée,
Ou bien tout simplement des morts ?


Sont-ce donc ton remords, ô rêvasseur qu’invite
L’horreur, ou ton regret, ou ta pensée, — hein ? — tous
Ces spectres qu’un vertige irrésistible agite,
Ou bien des morts qui seraient fous ? —


N’importe ! ils vont toujours, les fébriles fantômes,
Menant leur ronde vaste et morne et tressautant
Comme dans un rayon de soleil des atomes,
Et s’évaporent à l’instant


Humide et blême où l’aube éteint l’un après l’autre
Les cors, en sorte qu’il ne reste absolument
Plus rien — absolument — qu’un jardin de Lenôtre,
Correct, ridicule et charmant."


Ou, Dans les bois :


D'autres, ― des innocents ou bien des lymphatiques, ―
Ne trouvent dans les bois que charmes langoureux,
Souffles frais et parfums tièdes. Ils sont heureux !
D'autres s'y sentent pris ― rêveurs ― d'effrois mystiques.


Ils sont heureux ! Pour moi, nerveux, et qu'un remords
Épouvantable et vague affole sans relâche,
Par les forêts je tremble à la façon d'un lâche
Qui craindrait une embûche ou qui verrait des morts.


Ces grands rameaux jamais apaisés, comme l'onde,
D'où tombe un noir silence avec une ombre encor
Plus noire, tout ce morne et sinistre décor
Me remplit d'une horreur triviale et profonde.


Surtout les soirs d'été : la rougeur du couchant
Se fond dans le gris bleu des brumes qu'elle teinte
D'incendie et de sang ; et l'angélus qui tinte
Au lointain semble un cri plaintif se rapprochant.


Le vent se lève chaud et lourd, un frisson passe
Et repasse, toujours plus fort, dans l'épaisseur
Toujours plus sombre des hauts chênes, obsesseur,
Et s'éparpille, ainsi qu'un miasme, dans l'espace.


La nuit vient. Le hibou s'envole. C'est l'instant
Où l'on songe aux récits des aïeules naïves...
Sous un fourré, là-bas, là-bas, des sources vives
Font un bruit d'assassins postés se concertant.


Lisez Verlaine, il est génial ! Adoucissez votre bile, en le lisant.... Tcho. Portez vous bien. Bonne lecture. @ +.

ClementLeroy
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le 11 mai 2015

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San  Bardamu

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