«En un mot, ce livre chantera la poésie de la grammaire. Car il est des êtres dans la vie desquels cet art occupe la place de la lune pour Hugo, de la mer pour Valéry, de Lou pour Guillaume et de Verlaine pour Rimbaud ; enfin il en est au moins un et il se trouve que c'est moi.»
Autodidacte de la linguistique et acheteur et obsessionnel des livres traitant du sujet, Jean-Pierre Minaudier, que j'ai découvert grâce à sa traduction du jubilatoire «L'homme qui savait la langue des serpents» d'Andrus Kivirähk possède à ce jour 1163 ouvrages de linguistique concernant 864 langues, qu’il dévore «comme d’autres dévorent des romans policiers». Et cet amoureux de la culture, passionné par la découverte de l’autre, s’y nourrit de son amour pour les langues parlées, aux antipodes de la rigidité des normes et des règles de grammaire dont nous fûmes nourris sur les bancs de l’école.
Il faut accepter dans cette lecture de voguer entre les genres, et de vagabonder soi-même, de prendre ce que l’on peut saisir dans l’érudition phénoménale de Jean-Pierre Minaudier. Alors on prend le livre, on le pose, on le reprend avec étonnement et avec un plaisir grandissant, d’abord avec la découverte de la poésie des noms des langues, du basque au kilikilibamba, de leurs sonorités et de leurs migrations. Puis s’ouvre la partie la plus passionnante du livre, la partie proprement linguistique où l’on découvre ce qui nous apparaît comme des bizarreries ou des objets fascinants, témoignages de l’inépuisable variété de l’esprit humain et de la multiplicité des visions du monde – avec par exemple la découverte des «impressifs, très utilisés notamment en japonais, des sortes d’adverbes inexistants chez nous et qui servent à donner une coloration particulière à une phrase - comme « butu-butu » qui évoque un grommellement ou « nyoro-nyoro » les contorsions d’un serpent.
«… dans une grammaire, les exemples présentent le charme de n’avoir pas été arrangés en fonction d’une progression, d’une démonstration : le charme de l’imprévu et de la variété, le charme du corail. Leur désordre aussi radical que possible, puisqu’ils sont rangés non en fonction de leur sens, mais des leçons grammaticales qu’on peut en tirer, produit sur le lecteur bien disposé le même effet poétique qu’une classification des animaux selon Borges, et parfois il se dégage de cette anarchie quelque chose comme un mystérieux sens global, fait d’allusions et de sensations confuses plus que de démonstrations, d’affirmations et de structures – telles ces taches au dos d’un jaguar ou un prisonnier délirant déchiffre l’écriture d’un dieu dans une autre nouvelle de Borges.»
En vagabondant dans la «Poésie du gérondif», paru en avril 2014 aux éditions Le Tripode, on refoule l’ennui mortel du Bescherelle pour aimer à son tour les langues comme des êtres vivants. On en ressort émerveillé par «la diversité radicale, la poétique et féconde anarchie des langues réelles», «fruit de millénaires d’élaboration collective et pour l’essentiel inconsciente», que Jean-Pierre Minaudier nous fait toucher du doigt avec beaucoup d’humour et de subtilité.
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