Les mâles plus souvent qu'à leur tour ont quelque perversion qui circule en eux: posséder un nombre incalculable de boomerangs, collectionner les timbres, les boîtes de camembert. Jean-Pierre Minaudier, après avoir collectionné les livres de linguistique, collectionne ceux de grammaire de toutes les langues. Mais il ne fait pas que les entasser sur une étagère, il les lit. C'est un amoureux des langues. il maîtrise -très bien- le français et apparemment se destine à la maîtrise du basque.
Dans une première partie souvent hilarante, il décrit la naissance de cette amour, souvent en quête de livres rares, sortes d'incunables récents de l'édition des grammaires:
"Cette addiction précoce a inévitablement dégénéré en délinquance juvénile: puisqu'il y a sans doute prescription au regard du droit français, je peux avouer que je recèle encore une grammaire roumaine subtilisée à la bibliothèque municipale de la Part-Dieu à Lyon, vers 1978 et que si la librairie de sciences humaines Gibert, quai Gailleton, a fermé vers cette époque, c'est sans doute en partie par ma faute - je me demande que j'aurais trouvé à expliquer si je m'étais trouvé à expliquer si je m'étais fait prendre avec un manuel d'albanais dans le slip, mais ce fus plus fort que moi: je le revois encore en train de m'aguicher avec sa couverture plastifiée gris-bleu déjà poisseuse avant d'avoir été maniée, son odeur fade et sèche, son papier grisâtre, sa typographie dansante, avec tous les a légèrement au-dessus de la ligne et la moitié des d indiscernables des o, ses illustrations en bichromie (marron et brun); et je me souviens que la première leçon commençait par quelque chose comme: "Je m'appelle X, je suis ouvrier. Je suis en grève"
Il fait discuter l'hypothèse Sapir-Whorf (qui a donné lieu au chouette film de SF Premier contact) avec les réticences de Steven Pinker. Il critique sans vraiment approfondir les tenants d'invariants des langues comme Noam Chomsky. Mais ce n'est pas le cœur du propos. En fait, cette recherche scientifique l'agace, il en préfère le côté baroque, la poésie que l'étrangeté propose, qui donne l'évidence de la richesse des constructions humaines. En fait, il oppose deux champs qui ne sont pas superposables: la froideur supposée de la recherche d'une nature humaine, des pré-cablages et la chaleur que lui voit dans "les ruelles torves et les placettes que nul architecte n'a dessinées, l'infinie variété de formes du corail. (C'est amusant de se dire qu'il ne s'est pas rendu compte d'ailleurs que si le corail a des formes variées, leur structure de base, elle, reste la même.)
Après, c'est à un voyage que nous invite l'auteur. Il nous emmène dans sa bibliothèque et nous fait un résumé de la diversité des langues humaines, de leur bigarrité (j'assume le néologisme), de ce qui nous semble être de l'exotisme tant nous sont étrangères les langues qui -mondialisation oblige- tendent à disparaître. Il nous parle des langues aux multiples déclinaisons, des langues ergatives (pas vraiment compris mais ce n'est pas grave), des langues aux genres qui ne se limitent pas qu'au masculin et au féminin, mais qui prennent en compte le degré de familiarité, de distance, des langues qui articulent les sujets autrement, qui ne construisent pas le rapport au présent et au passé selon les mêmes modalités.
Loin d'être un livre d'érudition, c'est un hymne d'amour à la diversité, à la complexité des langues et une invitation à se penser autrement à travers le langage et certainement la pensée des autres humains dispersés sur la terre.
On s'amuse à chercher les références à la maison d'édition DE GRUYTER MOUTON dans les notes de bas de page (qu tous les saints du paradis intercèdent en leur faveur au jour du jugement)
Amusant de retrouver une peuplade d'Océanie aperçue dans un livre de Jared Diamond et qui n'a pas de concept de gauche ou de droite: étant donné que leur île est toute petite, toute localisation est pensée en fonction du bord de mer ou de l'intérieur des terres.
Pour ceux qui aiment les langues et les voyages sur papier.