Il est parfois de très bonnes surprises. J'ai fait l'acquisition de ce roman avant l'été; je venais de choisir quelques bouquins, et avisant les volumes que j'avais en main, je me suis fait la réflexion qu'un peu de fantastique compléterait avec bonheur ma sélection. Du coup, j'ai fouiné, feuilleté à droite à gauche et me suis finalement décidé pour Port d'Ames de Lionel Davoust. Je dois dire que la fantasy française m'avait un peu laissé sur ma faim ces derniers temps : des univers certes très imaginatifs, des scénarios certes bien ficelés, mais hélas souvent un manque de souffle épique et une écriture quelque peu monocorde. Du très bon travail de dungeon master, sans aucun doute, mais qui peinait à prendre une vraie dimension littéraire...
J'attaque donc Port d'Ames avec une conviction plutôt modérée, et en fait, je le dévore en quatre jours. Dans le courant, c'est vrai, d'une semaine propice à la lecture, avec de nombreux déplacements (Toulouse - Paris - Besançon - Paris - Brest - Toulouse). Mais ce bouquin possède quelque chose de plus, j'oserai dire un supplément...d'âme. Il aborde allégrement, en les mixant et avec bonheur un ensemble de thèmes qui lui donnent justement ce souffle épique qui fait (selon mes critères) la bonne fantasy. Roman initiatique, il explore les ressorts de l'idéalisme de la jeunesse, dont les illusions se fracassent sur la laideur de la réalité. Roman social, il décrit, à travers l'extraordinaire ville franche d'Aniagrad, un monde dans lequel le commerce est roi, sans entraves (à la concurrence libre et non faussée) et tout s'achète. Et où se côtoient la splendeur la plus éclatante et la misère morale et matérielle la plus noire, sous l'implacable férule d'une administration kafkaïenne. Roman d'amour, il dépeint une extraordinaire relation, faite de tendresse et de respect mutuel, entre deux êtres épris d'absolu. Et enfin, il aborde en profondeur les ressorts de la création artistique, sous l'angle d'une quête qui confine à la folie.
Le tout sur fond d'un scénario qui n'est pas avare en intrigues, complots, rebondissements et mêmes en scènes d'action. Et tout ça m'a paru plutôt bien écrit, en dépit d'une ou deux maladresses narratives. De quoi redorer le blason de la fantasy française à mes yeux, encore que : Davoust est breton (il a d'ailleurs collaboré sur plusieurs recueils de nouvelles avec Bordage) et ne serait-il pas plus judicieux de parler de fantasy bretonne ?
Pour clore cette critique élogieuse, je mentionnerai que je me suis aperçu après coup que Port d'Ames fait partie du cycle d'Evanégyre (la planète sur laquelle se déroule l'action), dont, je crois, deux volumes ont déjà été publiés et auxquels il est probablement fait référence dans le bouquin. Bien que généralement assez pointilleux quant au fait de lire dans l'ordre les opus successifs d'un cycle, cela ne m'a absolument pas gêné. Port d'Ames est un roman à part entière. Et cela ne me découragera nullement de me procurer et de lire les deux premiers romans du cycle...