Combattre, tel est le mot d'ordre.
Combattre le monde et ses mirages, combattre l'indiscrète curiosité des autres, combattre notre tendance à agir dans toutes les directions sans discernement, combattre nos goûts empruntés, les idées d'autrui en nous, combattre pour défendre notre vie intérieure, l'essence de notre être :
"Dans une époque d'agités, garde ton "andante". En toi-même redis-toi toujours : "Davantage, davantage d'andante", tâchant de t'amener où il faut que tu arrives. Sinon, précipité, tout devient superficiel. Les indignés du moment n'y échappent guère, pressés comme ils sont, afin de n'être jamais en retard d'une indignation. Leurs voix ont trop d'aigu."
"Tu veux apprendre ce qu'est ton être ? Décroche. Retire-toi en ton dedans. Tu apprendras tout seul ce qui est capital pour toi, car il n'est pas de gourou pour ce savoir que toutefois un enfant de cinq ou même de quatre ans peut de lui-même apprendre et pratiquer s'il en sent le besoin à la barbe des grands indésirables, tenace et approfondissante absence."
Ces fragments semblent s'adresser autant à l'auteur qu'au lecteur, si bien que l'accumulation des impératifs ne gêne pas. Réflexions, conseils moraux ou préceptes expliquent que le chemin passe par un désencombrement avisé :
"Non, non, pas acquérir. Voyager pour s'appauvrir. Voilà ce dont tu as besoin."
"Avec tes défauts, pas de hâte. Ne va pas à la légère les corriger. Qu'irais-tu mettre à la place ?"
L'ascèse de Michaux concerne aussi l'écriture :
"Le style : signe (mauvais) de la distance inchangée (...) Bloqué ! Il s'était précipité dans son style (ou l'avait cherché laborieusement). Pour une vie d'emprunt, il a lâché sa totalité, sa possibilité de changement, de mutation. Pas de quoi être fier. Style qui deviendra manque de courage, manque d'ouverture, de réouverture : en somme une infirmité. Tâche d'en sortir. Va suffisamment loin en toi pour que ton style ne puisse plus suivre."
"Plus tu auras réussi à écrire (si tu écris), plus éloigné tu seras de l'accomplissement du pur, fort, originel désir, celui, fondamental, de ne pas laisser de trace. Quelle satisfaction la vaudrait ? Écrivant, tu fais tout le contraire, laborieusement le contraire !"
Les préceptes d'Henri Michaux s'avèrent quelquefois cruels, mais toujours salubres. Doté du libre arbitre, l'homme doit construire volontairement sa vie par des choix réfléchis. Comme dans les documentaires animaliers, entre des scènes de meurtres, de siestes ou de cris, l'humour s'invite sans crier gare. "Le loup qui comprend l'agneau est perdu, mourra de faim, n'aura pas compris l'agneau, se sera mépris sur le loup... et presque tout lui reste à connaître sur l'être." De ces leçons d'austère sagesse, on ressort ragaillardi.