Pottsville, 1280 habitants, pour reprendre la nouvelle traduction du titre de la dernière version sortie chez Rivages, est un fameux roman noir de Jim Thompson connu notamment en France pour avoir été librement porté à l'écran par Tavernier. En focalisation interne, il invite le lecteur à suivre l'histoire de Nicholas Corey, le shérif d'un médiocre comté du sud, méprisé par la population locale et par sa femme, qui va s'engager à sa manière particulière dans une croisade machiavélique contre l'immoralisme croissant de ses concitoyens et autres administrés bestiaux.
Pottsville pourrait passer en soi pour un noir assez basique, si on se contentait de regarder de loin quelques-uns des motifs qui le structurent. Entre la critique acerbe d'une société de péquenots racistes et agressifs du sud et la mise en place d'un jeu de machination un peu improbable pour opposer des personnages dépendant les uns des autres dans un échiquier de connaissances compromettantes, Thompson reste largement dans les clous (de la Croix) du calvaire qu'on s'attend à voir traversé par un narrateur en proie au dégoût de l'humanité grouillante. Les intrigues de femmes et d'argent restent ainsi toujours emmêlées alors que le personnage s'enferre, assez conventionnellement, dans une camisole de vœux contraires qui va le contraindre.
Une grande réussite permet à Thompson d'emballer le tout dans un paquet nettement plus séduisant. Si le choix, pour le noir, de la focalisation interne sur un narrateur-héros va de souvent de soi, couplée à une caractérisation en général gouailleuse ou désabusée de la voix qui nous sert de Virgile aux enfers, Thompson procède à une toute approche pour son personnage. Il est assez compliqué rendu à la fin du roman de définir son registre exact tant le livre sait tour à tour amuser, charger et déconcerter. La même indécision pèse sur un personnage qui apparaît au début comme un lâche paresseux, voire ensuite un imbécile confinant presque au retard mental, puis peu à peu comme un manipulateur diabolique à la perspective si étrange que l'on est tenté en cours de livre de douter avec lui qu'il ne soie en réalité une sorte d'être transcendant venant occuper à Pottsville une mission d'ordre plus métaphysique.
Plus qu'à travers un enchaînement d'épisodes et de meurtres, c'est par la découverte successive des composantes de la très inconfortable personnalité malade de Nick qu'avance le livre, ce qui constitue une manière originale, habile, intéressante de structurer.
Le roman demeure à part ça un peu long, un peu répétitif, et il peine trop souvent à apporter à chacun des thèmes usuels qu'il évoque ce surcroît de vision et de poésie qui distingue, à mon avis, les grandes œuvres des bonnes manufactures. Le choix effectué pour conclure le roman peut également décevoir et sembler à la fois trop facile et trop plat en regard avec ce que l'auteur nous montre de son personnage dans la dernière ligne droite. Peut-être aussi que, passé le blasphème, il manque un peu d'acide pour rendre la satire aussi pimentée que Thompson la désirait probablement. On est ici face à un noir qui reste, même pour 1964, somme toute relativement sage.
Lecture très agréable toutefois si on prend le pli critique fort de décider qu'il s'agit réellement d'une autobiographie du Malin.