Nature de l'ouvrage
Un essai dont l'ambition est d'établir ce qui peut être fait pour lutter contre la captation marchande contemporaine de notre attention.
Avis
Je ne suis pas certain que les 350 pages de l'essai en vaillent leur peine. On pourra sauter sans trop de regret - en s'arrêtant, tout de même, sur l'analyse originale de l'économie attentionnelle d'une salle de classe, pp. 161-164 de l'édition poche - les deux premières parties, trop peu rigoureuses dans l'ensemble, pour ne lire que la troisième partie, mieux menée.
Une qualité indéniable de l'ouvrage, est sa bibliographie bien fournie. J'ai noté pour ma part les noms suivants : Davidson, Depraz, Flusser, Franck, Hayles et Johnson, que je ne connaissais pas.
Remarques critiques
L'essai, malheureusement, ne tient pas sa promesse. En cause, le choix incompréhensible de l'auteur de ne pas s'intéresser aux données expérimentales dont nous disposons sur la question. En 350 pages, il ne cite - tenez-vous bien - qu'un seul ouvrage que l'on appellerait "scientifique", celui de J-P Lachaux, Le Cerveau attentif (2011). Les références, nombreuses, sont d'autres essais - qui présentent des idées parfois très intéressantes - mais les études empiriques, elles, sont laissées de côté.
Cette désinvolture - je ne sais comment appeler autrement ce choix - empêche Y. Citton de comprendre le problème qu'il pose lui-même. L'ouvrage admirable de N. Carr, The Shallows, a beau être l'un des ouvrages les plus cités, il n'a visiblement pas été lu sérieusement. Y. Citton en balaye les arguments - solidement appuyés, eux, sur des données empiriques et un raisonnement rigoureux - au motif qu'ils seraient... "catastrophistes". Mais voilà, être "catastrophiste", selon Y. Citton, c'est ne pas tenir le juste milieu, donc tout va bien, pas de problème. Les élèves - qui ne savent plus se concentrer, lire ni écrire, et dont les résultats dégringolent année après année selon toutes les mesures sérieuses dont nous disposons - ne sont pas si bêtes, ils réfléchissent juste différemment, nous assure sans aucune preuve Y. Citton.
Cette volonté de dédramatiser est d'autant plus étonnante qu'elle apparait dans un ouvrage se revendiquant du courant écologique : c'est précisément à cause de telles postures soi-disant "raisonnables" que le rapport de Rome - pour ne prendre qu'un exemple - n'a pas eu l'impact qu'il aurait dû avoir.
Le "problème", selon Y. Citton, c'est que nous choisissons de prêter attention à ce à quoi nous ne devrions pas prêter attention, à savoir, aux propositions du capitalisme marchand. Nous devrions prêter attention à autre chose, nous dit-il, sans voir que c'est là précisément tout le problème : la notion de "choix" doit être revue en profondeur, puisqu'il est maintenant établi nous ne sommes pas les maîtres absolus de notre attention, et que certaines entreprises exploitent nos failles neurologiques. Mais l'écologie de l'attention ne serait qu'une question de bonne volonté, a-t-on parfois l'impression de lire.
J'insiste, pour finir : ce n'est pas que les idées proposées par Y. Citton sont inintéressantes, là n'est pas le reproche que j'adresse à cet essai qui propose des pistes de réflexions et dont la bibliographie constitue une précieuse ressource. Le reproche, est que les idées - intéressantes, donc - ne font l'objet d'aucune justification rigoureuse. Or, un résultat est tributaire de sa démonstration : si la démonstration ne va pas, le résultat n'est pas acceptable. L'écologie, sans la science et sa rigueur, n'est qu'idéologie.