Après Stendhal et les premières pages du Rouge et le Noir, Proust et son Sur la lecture, ou encore Ray Bradbury et son roman Fahrenheit 451, Charles Dantzig s’inscrit dans une vieille et glorieuse tradition, celle de l’écrivain rendant hommage à la lecture. Faute de pouvoir s’autoproclamer grand auteur, il invente les mœurs et pratiques de la communauté des « grands lecteurs », dont il se décrit comme le parfait archétype. L’immodestie n’est en réalité pas moindre, mais elle est plus habile, car nous en sommes rendus complices - et hors d’état de la condamner. Dès lors ces quatre-vingt courts chapitres sonnent comme autant de conversations avec un ami qui partage certaines de nos idées et certains de nos goûts, mais surtout un même plaisir de la discussion, digestif efficace pour tous les excès et les jugements à l’emporte-pièce qu’ils contiennent aussi. Du reste, ils baguenaudent plus qu’ils n’argumentent réellement autour de propositions de réponses à la question initiale, aucune d’entre elles n’étant bien sérieuse. Une idée pourtant se dégage d’un argument fallacieux à l’autre, anecdotique, c’est que la lecture est indispensable pour nous maintenir en contact avec une gratuité essentielle – et donc ne sert à rien, par définition. Ce livre est plein, sans doute, d’impertinence, de vanité, d’injustice, de mauvaise foi, de suffisance ; mais tout cela n’a que fort peu d’importance à côté de ce que chacune de ses pages exprime avec un sensible enthousiasme : un amour vrai de la littérature.