Ou du moins ce qu’il en reste, non plus vingt ans après, mais trente cette fois. Seul d’Artagnan est toujours au service de sa Majesté, le tout jeune Louis XIV. Et encore lui donne-t-il sa démission dans le premier tome de ces aventures, pour voler au secours de Charles II, destitué du trône d’Angleterre par Cromwell et renvoyé sans argent et sans aide par le fils d’Anne d’Autriche, encore sous la coupe du Cardinal Mazarin. C’est dans cette entreprise de restauration, financée, contre toute vraisemblance mais pour le plus grand amusement du lecteur, par le riche épicier qu’est devenu Planchet, que d’Artagnan va croiser à nouveau le Comte de la Fère. Athos, c'est l’incarnation même des sentiments les plus purs et de la noblesse la plus élevée. Retiré en son château provincial de la Fère, Athos a renoncé à la vie publique et ne s’y intéresse plus que pour observer et accompagner si besoin la gloire montante de son tout aussi noble fils, le Vicomte de Bragelonne. Cependant, comme les ex têtes couronnées de passage sur la route de Blois s’arrêtent pour le saluer, il ne peut refuser de répondre à leur cri de détresse… et part lui aussi pour l’Angleterre.
Chacun pour soi donc dans cette nouvelle aventure où d’Artagnan et Athos poursuivent en ordre dispersé un même dessein, tandis qu’Aramis, devenu évêque de Vannes, complote de son cote une intrigue, ou il paraît mêler Porthos, gros et fat baron de Bracieux. Les mousquetaires sont vieillis, méfiants, parfois un peu ridicules et en général un peu dépassés par les mouvements de l'histoire qu'ils voudraient encore influencer. Leur héritage en ce monde, leur "fils a tous les quatre", le Vicomte de Bragelonne, est certes admiré de tous, mais se révèle au fond inadapté aux moeurs de son époque - et le malheur est son destin, ce que l'on pressent dès la découverte du nom de sa fiancée, Louise de la Vallière... Comme les ex-mousquetaires sont divisés, leurs aventures semblent partir en tous sens et se perdent dans les méandres de l'histoire, de Charles II à Louis XIV en passant par la mort de Mazarin et la chute de Fouquet.
Le style de Dumas est également assez hétérogène, les coquilles sont nombreuses et les lourdeurs récurrentes ; j'ai du mal à me souvenir si les Trois Mousquetaires souffraient des mêmes défauts. Quoiqu'il en soit ces défauts de style, voire de construction (il y a bien de quoi faire trois romans indépendants dans celui-ci), ne gênent finalement pas l'intérêt du livre : d'Artagnan reste le fil conducteur (et non Bragelonne, dont on se demande parfois comment il a pu donner son nom à l'ensemble), et ses aventures ou celles qui l'intéressent, toujours formatées en épisodes efficaces de quelques pages, longueur idéale pour maintenir un rythme de lecture même discontinu, savent au moins tenir en haleine. Que demander de plus ? Si quand même : le dénouement de toutes les aventures, la mort de trois mousquetaires racontée comme la morale d'une fable et la fin éludée du quatrième (qui n'est plus celui du début !) , présenté comme une sorte de Dr Faust qui se serait montré complice du Masque de Fer - toujours donc un mélange assez amusant d'histoire très documentée et de fiction délibérément fantaisiste.