Mitigé
Mon avis est assez mitigé, je viens juste de finir de lire. J'ai vraiment apprécié la lecture car j'ai appris beaucoup de choses, le livre peut être lu même si vous êtes pas une calé en science et si...
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le 26 juin 2018
*Premiers hommes *; livre de Pascal Picq (2016) retrace l’histoire de l’évolution de l’homme, partant des grands singes jusqu’à homo sapiens. Le livre vulgarise cette histoire des origines, évoque quelques concepts de paléoanthropologie, quelques pistes de recherches, et parle également de l’histoire de la recherche de ces ossements et fossiles (on va donc lorgner pas mal vers le XIXe) qui nous permettent de comprendre l’évolution. Et dans ce sens, l’ouvrage est plutôt réussi puisqu’il est plutôt bien écrit et on entre facilement dans cette grande (pré)histoire où on évolue avec plaisir. Mais si la pipeline à la surface paraît ma foi fort saillante et reluisante, on va un peu creuser pour voir que sous la surface, on a pas forcément un beau pétrole bien noir qui se promène dans les tuyaux mais bien plutôt une sortie d'eau de chiottes. Pour qui cette allégorie pétrolière paraîtrait obscur (et je ne peux vous en vouloir), disons qu’il y a des choses qui me chiffonnent et que si le bouquin parait sympathique à première vue, le personnage de Picq et sa méthode de travail font qu’on ne peut pas tirer grand-chose de ce bouquin.
Tout d’abord, le moins pire, tout ce qui a aspect à la chronologie me semble très confus dans Premiers hommes. Evidemment, ce problème vient de moi aussi ; le livre se lit bien (laissons au bonhomme son talent d’écriture), comme un roman peut-on dire. Or, un roman, il arrive parfois que je les lise un peu de travers, sans m’attarder sur chaque mot. Peut-être que la chronologie m’échappe à ces moments-là, d’autant que nous naviguons sur des échelles de centaines de milliers d’années, voir des millions. On se perd facilement. Mais il me semble que foutre un graphique comme on en trouve sur Wikipédia pour nous aider à nous situer n’est pas trop demandé. D’autant que les quelques tableaux présents dans le livre au début des chapitres sont relativement hideux et illisible ; on dirait qu’ils ont été écrit dans une sorte de Comic Sans dégénéré. Et encore, je parle de tableaux, mais ce sont plutôt des noms reliés par des traits.
Ensuite, autre problème selon moi, le personnage en lui-même. Qui est Pascal Picq ? Absolument aucune idée. Je ne lui enlèverai pas ses compétences de paléoanthropologue mais je n’ai pas trouvé beaucoup d’articles de recherches signés Picq sur Google Scholar (je ne dis pas non plus qu’il n’en a jamais fait, je dis que j’en ai trouvé assez peu). En revanche, j’ai trouvé pléthores de bouquins de vulgarisation et qu’il avait été le « conseiller scientifique » d’un docu-fiction sur M6 (tu vois déjà le délire). Pourquoi pas faut bien bouffer. Pascal Picq est un habitué des ménages (on trouve ça dans un article des échos et il en parle ouvertement dans ses conférences), c’est-à-dire que certaines entreprises le paient pour aller jacter un peu et les sucer goulûment. Là aussi, faut bien bouffer. Là où ça commence à sentir gentiment mauvais, ce sont ses conférences.
J’ai écouté une de ces conférences au pif sur Youtube : « D’Homo Erectus à Homo Numericus » où il déballe quelques dingueries. Florilège : « Contrairement à une partie de l’analyse de Thomas Picketty, nous ne sommes pas dans un système économique qui est fait pour produire de l’inégalité, mais dans un système économique qui est en train de changer et de ce fait provoque des inégalités », « les moins pauvres sont moins pauvres qu’avant », « nous ne sommes plus dans un clivage nord-sud », « le taux de chômage n’a jamais été aussi bas », « caca boudin ! » (sic.) ,* « Uber a augmenté la qualité de services des Taxis – le secteur ne s’est jamais aussi bien porté qu’avant – », « l’ubérisation a amélioré les services »*, et basiquement tout le ton de la conférence c’est que les technologies c’est génial et dans quel beau monde nous vivons youpi. Alors, pourquoi pas, ce qu’il dit est peut-être vrai, mais il ne présente aucune source ni aucun chiffre pour étayer ses dires. Par exemple, quand il dit que les taxis se portent mieux grâce à Uber, c’est qu'ils ont dû améliorer leurs services face à la concurence ; par conséquent, les taxis sont mieux depuis la présence d'Uber parce que les chauffeurs doivent être plus souriants pour affronter la concurrence d'Hubert (Ci-gît l’économie : -500 - 2020). Mais en termes de chiffres, on doit le croire sur parole.
En bref, monsieur Picq dans cette conférence, qui se défend de tout darwinisme social (parce que personne ne va se vanter vraiment de promouvoir le darwinisme social quand bien même ce serait le cas), passe une partie de son temps à mettre sa science au service des entreprises pour apprendre aux entrepreneurs à s’adapter à l’économie numérique sans avoir grand-chose à faire des laissés-pour-compte de ces changements ; on pense par exemple aux vieux qui galèrent avec la technologie ou aux personnes précaires, ou, plus généralement, à la classe moyenne qui s'éffrite depuis des années. Bien sûr, il les évoque mais ils n’auront droit qu’à un haussement d’épaules et à sa fameuse phrase « caca boudin ! ». Voilà les pauvres, caca boudin !
( https://youtu.be/FEG4pMKD0CM?t=1726 ; timecode avec le caca boudin directement enchaîné sur la : Uber rend les taxis souriant parce que je m'en remet pas de la faiblesse de l'argument - et encore une fois, c'est peut-être pas faux ce qu'il dit, j'en sais rien, mais faut des sources bon sang ! -).
Donc, que le personnage de Picq mette l’évolution du vivant au service de l’évolution du Capital et de l’Entreprise, soit, cela n’ôte en rien ses capacités de chercheur sur le sujet de son livre Premiers hommes. Tout au plus, cela fait de lui un opportuniste, mais des lumières rouges se mettent à clignoter qui hurlent à l’unisson : « attention, ça sent le cul ».
On aura remarqué que les ding’z que professe Pascal Picq lors de cette conférence n’étaient appuyées d’aucunes sources (non monsieur Pascal Picq, le fait que le chauffeur de Taxi ait été poli ne constitue pas une source fiable – pour dire, ça m'a tellement scié à quel point c'était con que j’ai vite fait cherché de mon côté et j'ai trouvé un vieux graphique de l’Insee qui semble aller dans le sens de Picq, à savoir le secteur des taxis/vtc se portent mieux en France depuis quelques années ; toutefois, est-ce que l’augmentation de la marge des société de taxis est dû à la concurrence d’Uber - les obligeants à se remettre au niveau - ou au fait que voyager en bagnole dans les grandes villes est devenu, au fil du temps, de plus en plus compliqué ou à d’autres facteurs - flemme du metro, service offert par + d'entreprise- voir à un mélange de tout ça, nul ne sait et je m’en fous ; à retenir toutefois, la concurence d'Uber est un facteur parmi d'autres). Mais bref, revenons-en au livre, et cette fois, c’est la méthode qui pose problème.
Un des cheval de bataille de Picq, dans cet ouvrage, c’est de foutre toutes les sciences sociales dans le même panier à merde, sous prétexte qu’elles sont toutes empreintes d’anthropocentrisme. L’argument paraît séduisant ; puisqu’il est surtout question du monde animal, au diable les sciences humaines ; mais cela ne veut pas dire pour autant que tout doit être rejeté. N’y a-t-il pas moyen de voir au-delà du biais anthropocentrique pour y puiser des choses intéressantes à dire sur les sociétés animales ? Visiblement pas.
Voilà pourquoi il appelle fréquemment à l’éthologie/primatologie – l’étude du comportement animal/des primates – pour essayer de deviner ce que pourrait avoir été le comportement de ces premiers hominidés. En soi, j’ai rien contre l’idée qui me parait assez bonne dans son fondement : on observe comment se comportent des chimpanzés (ou autres babouins, gorilles…) et, de ces observations, on essaie de les calquer sur les hommes. Maintenant, faut voir de quelle éthologie on parle. Ainsi, tout un chapitre concernant je-sais-plus quel descendant d’homo-sapiens s’appuie sur un documentaire de Disney sur les chimpanzés pour établir sa comparaison. Peut-être que le documentaire est très bien (voir mieux que celui où Pascal Picq était impliqué qui sait), mais le problème avec ça, c’est que je ne sais pas vraiment quelle valeur scientifique a ce documentaire, dans quels conditions il a été tourné, et pourquoi diable ne pas citer des travaux d’éthologues qui irait dans le sens du documentaire ?
Enfin, il faut voir dans ce chapitre dans quels termes il parle des chimpanzés. Si l’anthropocentrisme lui pose problème, l’anthropomorphise un peu moins. « Quand le groupe se rassemble, les grands mâles chahutent avec les petits, très espiègles, les garçons _préférant les jeux de bâtons et les petites bagarres tandis que les filles jouent à la poupée avec une petite sœur ! » (p.210) « Les rivalités politiques et les mauvais actions qui déstabilisent la paix sociale » (p.210) « Empathie, solidarité, sympathie, affection… Tout cela peut sembler humain, trop humain, mais toutes les choses de la vie évoquées ici ont été observées et continuent de l’être parmi les dernières populations de chimpanzés survivant sur une Terre envahie par les hommes » (p.211) – on ne saura pas par qui cela a été observé. « On pourrait dire qu’il ne leur manque que le langage et le sacré » (p.212) ; « Mais il y a encore plus étrange. Au cœur de la forêt de Taï où vivent les chimpanzés du film, se trouve un gros tronc d’arbre mort dans lequel ils ont empilé des grosses pierres. (…) On y voit un chimpanzé qui agite son corps comme s’il entrait en transe, le cors tendu, poussant des cris de plus en plus soutenus avant de s’élancer sur le tronc, en le frappant de ses mains et de ses pieds (…). Pourquoi de telles ‘’incantations’’ ? Est-ce que les chimpanzés croient – ou craignent – en des esprits de la forêt_ ? » (p.213). Celle-là, fallait l’oser. Parce que s’il est admis qu’hommes et animaux ont des cultures et des rituels, des chimpanzés qui « croient » en des esprits, c’est ridicule... ou, encore une fois, faut le prouver.
Si cette approche en passant par la primatologie, je le répète, me parait tout à fait cohérente, je me demande simplement où sont les autres outils du paléoanthropologue que Picq n’évoque jamais (ou très peu) dans son bouquin ? Je ne suis pas paléoanthropologue et, en définitive, je n’y connais strictement rien, ni en biologie ni en éthologie. Mais la génétique, les reconstructions informatiques, la géologie ce genre de techniques et de sciences diverses que doivent probablement utiliser les chercheurs, où sont-elles ? Comment fonctionnent-elles ? Quelles découvertes ont-elles permit de faire ? Comment marchent-elles ? Qui les pratiquent ? Dans un ouvrage de vulgarisation, c’est bien beau de vulgariser les résultats, aussi faudrait-il voir pour parler un peu de méthode à un moment donné. Pourtant, Picq sait être passionnant quand il parle du cerveau des australopithèques.
Mais pour être honnête, ce dernier reproche est un peu de mauvaise foi. En effet, le but du bouquin c'est de parler du, surtout, du QUOI, et moins du COMMENT. J'espérais personnellement une meilleure imbrication des deux.
Enfin et c'est là mon reproche le plus grave, si un film de Disney et un sourire séducteur de chauffeur de taxi font office de sources pour Pascal Picq, n’attendez pas à y trouver quoi que ce soit d’autres. Effectivement, dans cet ouvrage de vulgarisation scientifique, on a autant de sources qu'on en a dans un pamphlet de Zemmour ou de Soral, c’est-à-dire, zéro. Comment est-ce possible ? Habilement, nous avons à faire à un essai, ce qui arrange bien notre homme, puisque le genre de l’essai lui permet simplement de ne foutre aucune source ni aucune note de bas-de-page, ni même, pourquoi s’embêter, de bibliographie (ne parlons pas d’index). Bien sûr, parfois il se réfère à un ouvrage de Darwin. Mais les informations basiques (la page, la publication, l’éditeur) ne figure nulle part. Croivez-moi pis c’est tout. Bah non, ça ne marche pas comme ça. On a beau dire que l’ouvrage ne se veut pas une thèse scientifique et que par conséquent, elle peut se passer de ces appuis-là, que c’est, justement, un essai (autrement dit, un essai c’est juste une opinion, mais cette opinion-là se veut à minima scientifique). Reste que si on affirme des trucs, au bout d’un moment, il faut bien les étayer (c’est là tout l’intérêt de sourcer ce qu’on dit ; qu’on puisse au moins voir sur quoi s’appuie un propos, que le propos de base soit vrai ou faux, c’est encore une autre question). Ne serait-ce même que si on a envie de creuser le sujet.
Bref, en attendant, je laisse-là le bouquin. Peut-être que toutes les affirmations du livre sont correctes mais je n’ai aucun moyen de le savoir à moins de tout revérifier par moi-même (et je n’ai ni le temps, ni les compétences pour savoir si un truc en préhistoire est correct ou non) et je ne peux définitivement pas me fier à la seule parole de Pascal Picq parce que sa méthode est nulle, néant. Chose qui manque bien souvent aux bouquins de ce genre et qui devrait être obligatoire, c'est un court chapitre sur la conception du livre et sa méthode.
En fait, je me suis basé sur l’édition Flammarion dans la collection Champs Histoire. L’Histoire étant une science (si ce n’est, LA science sociale suprême), je m’attendais à un livre scientifique ou (à minima) à de la vulga. En l’état, pour reprendre la petite phrase d’accroche de la couverture : « Notre espèce aime raconter des histoires et, plus que tout, celles de ses origines… » ce livre n’est en rien scientifique et c’est donc une histoire littéraire que raconte Picq, rien de plus.
Créée
le 10 août 2022
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