532 pages d'ennui
Bon déjà y'a le titre, tu te dis, ce serait trop gros, toute la réponse au mystère ne peut pas tenir dedans. Et puis en fait si.Ensuite y'a Manon, le stéréotype de la célibataire complexée dans la...
Par
le 7 juin 2024
Stupeur : les second et troisième opus de la trilogie ne sont pas référencés sur SC. Qu'à cela ne tienne, je m'en vais chroniquer les trois sur le seul espace prévu pour le premier opus (je ne veux plus abuser de la gentillesse de ceux qui savent référencer et j'ai grave la flemme d'apprendre à le faire moi-même).
Premier opus : présumée disparue
Avec son intrigue située dans l'Angleterre contemporaine, voilà un solide roman policier qui se lit avec plaisir, tant son intrigue est bien ficelée, comporte et préserve longtemps l'indispensable part de mystère et se clôt sur un dénouement inattendu. La structuration en chapitre est chorale, alternant les points de vue d'une enquêtrice, d'un enquêteur, d'une témoin et de la mère de la disparue. Sachant de plus qu'un cinquième personnage surprise fait son entrée dans le club des narrateurs en toute fin de roman. Tout ça contribue à donner une profondeur certaine aux personnages en question, ainsi qu'à d'autres, puisque les premiers ne se privent pas de livrer leurs opinions et leurs sentiments quant à ceux qu'ils côtoient. Et ça nous fait en définitive une étude de mœurs plutôt réussie, sachant que les déboires amoureux de l'enquêtrice Bradshaw, utilisés comme argument de vente sur la quatrième de couverture, sont à la hauteur du restant mais ne s'en détachent pas plus que ça.
Au delà de l'étude de mœurs, ce bouquin vaut également en tant que chronique sociale de l'Angleterre d'aujourd'hui, avec de nombreux aspects aisément transposables au continent européen : solitude et surinvestissement dans le travail, politiciens veules, surpopulation carcérale, presse de caniveau et journalisme de préfecture, inégalité des chances et mépris de classe, patriarcat, hypocrisie. Tout cela est illustré avec force détails, par le biais d'une écriture extrêmement précise, puisque nombre de situations - même les plus banales - sont abordées, par la voix de l'un ou l'une de nos quatre narrateurs. J'ajouterai que le travail d'enquête est particulièrement bien documenté. Ainsi, ce roman est bien plus qu'une "course contre la montre", mentionnée en tant que commentaire promotionnel d'un quotidien national sur la première de couverture...
Feue Susie Steiner, l'auteure (décédée l'été dernier) a d'abord été journaliste au Guardian avant de se mettre à l'écriture, écrivant dans un premier temps un drame rural, avant de passer au thriller avec une trilogie dont "présumée disparue" est le premier volet. Son métier originel explique sans doute la méticulosité avec laquelle elle s'attache à décrire et à donner vie à ses personnages et aux situations auxquelles ils sont confrontés. Reste à voir si les deux volets suivants de la trilogie seront du même niveau, car le premier - étant donné la façon dont il se termine - n'appelait pas nécessairement de suite.
Second opus : personne inconnue
Bon en fait, les deux premiers paragraphes de ma chronique ci-dessus du premier opus s'appliquent quasi parfaitement au second opus. J'invite donc le lecteur à s'y reporter. Je vous jure, c'est pas de la paresse (hé, hé). Pour en revenir à ma conclusion (troisième paragraphe, donc de ma chronique ci-dessus), je dirai que le second opus n'est pas tout à fait du niveau du premier, mais ne s'en situe pas très loin. C'est juste que l'intrigue policière est un peu moins, disons surprenante, et qu'on s'attend donc peu ou prou à la conclusion. Ainsi en va-t-il de la révélation du coupable. Pour le reste, ça va.
Par rapport au premier, l'originalité principale réside dans le fait qu'y est évoquée à force traits la maternité, à travers trois situations distinctes. L'angoisse et les doutes qu'elle suscite, la relation quasi-charnelle à l'enfant, les dégâts sur le corps et la servitude qu'elle engendre une fois la naissance accomplie. Et bien entendu les débordements d'amour - plutôt quand même maternel que paternel vu de Steiner - et l'irrépressible émotion qu'ils engendrent. Bouquin féministe ? Je n'irai pas jusque là : la dimension sociale de la place des femmes - quoique non totalement estompée - s'efface tout de même assez largement derrière le sentiment de maternité. Quoiqu'il en soit, bouquin écrit avec et apportant un point de vue féminin sur la question.
A voir dans quelques mois dans quel bois sera fait le troisième et dernier opus de la saga Manon (au fait, est-ce vraiment un prénom britannique ?) Bradshaw...
Troisième opus : garde le silence
Beaucoup plus sombre que les deux premiers, celui-là. Il faut dire que lorsqu'il a été écrit, en 2019, son auteure était déjà quasiment aveugle et atteinte d'un cancer agressif du cerveau, qui l'emportera en trois ans. Même si sa bio affirme qu'elle n'en a connu le diagnostic qu'après avoir rendu son manuscrit, difficile de croire qu'elle ne l'avait pas anticipé à la lecture de ce bouquin.
L'intrigue policière reste bien torchée et continue à promener le lecteur sur diverses fausses pistes, à travers la narration décalée mais bien synchronisée de ce qui s'est passé, d'une part, et des progrès de l'enquête, d'autre part. Mais Manon Bradshaw a vieilli et s'est rangée : elle a renoncé à sa vie de célibataire. Ainsi, les passages qui sont consacrés à sa vie personnelle (et à celle de ses collègues et amis) ont souvent tendance à prendre le pas sur le versant roman policier du bouquin. C'est très désenchanté : ça parle de la peur de perdre un être cher, de la charge mentale, de la morosité et de la trivialité de la vie quotidienne, mais également de ce qu'elle a de précieux et des chimères que l'on peut poursuivre en voulant y échapper. Du vieillissement aussi et de cette impression qui survient de n'avoir jamais rien accompli de sa vie.
A côté de ces sujets intimes, le côté social reste très présent et ça n'est guère plus joyeux : migrants exploités par des mafieux et complaisance de la population anglaise (qui y voit une main d’œuvre pas chère), montée du racisme sur fond de déshérence sociale, politiciens et technocrates adeptes de la novlangue qui tiennent les positions de pouvoir.
Un testament littéraire chargé de tristesse, en fait.
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Lu en 2022 et Lu en 2023
Créée
le 13 juin 2023
Critique lue 22 fois
D'autres avis sur Présumée disparue
Bon déjà y'a le titre, tu te dis, ce serait trop gros, toute la réponse au mystère ne peut pas tenir dedans. Et puis en fait si.Ensuite y'a Manon, le stéréotype de la célibataire complexée dans la...
Par
le 7 juin 2024
Stupeur : les second et troisième opus de la trilogie ne sont pas référencés sur SC. Qu'à cela ne tienne, je m'en vais chroniquer les trois sur le seul espace prévu pour le premier opus (je ne veux...
Par
le 13 juin 2023
Autant être honnête, la mayonnaise n'a pas prise sur moi. Trop long, trop de détails, pas d'attachement au personnage de Manon Bradshaw (malgré tout ce qu'on m'en avait dit), ni aux autres... Bref,...
le 5 août 2021
Du même critique
Ce qui frappe avant tout dans ce film, c'est l'extrême jubilation avec laquelle les acteurs semblent jouer leur rôle. Du coup, ils sont (presque) tous très bons et ils donnent véritablement...
Par
le 2 sept. 2015
42 j'aime
5
Un pamphlet au vitriol contre une certaine bourgeoisie moderne, ouverte, progressiste, cultivée. Ou du moins qui se voit et s'affiche comme telle. On peut être d'accord ou non avec Bégaudeau, mais...
Par
le 15 avr. 2019
32 j'aime
7
Pedro Almodovar a 72 ans et il me semble qu'il soit désormais devenu une sorte de notable. Non pas qu'il ne l'ait pas mérité, ça reste un réalisateur immense, de par ses films des années 80 et du...
Par
le 14 déc. 2021
25 j'aime