Tout le livre consiste à expliquer à une minorité de "gens intelligents" (sic) (intellectuels, grands industriels, politiques, etc.) comment manipuler "le troupeau" (sic) pour servir les intérêts d'une "minorité de gens intelligents" (re-sic) : "Notre démocratie ayant pour vocation de tracer la voie, elle doit être pilotée par la minorité intelligente qui sait enrégimenter les masses pour mieux les guider." ou encore "Les esprits intelligents doivent comprendre qu'elle leur offre l'outil moderne dont ils doivent se saisir à des fins productives, pour créer de l'ordre à partir du chaos."
Pour moi on y trouve un fort mépris de classe, un élitisme qui pue à 10 000 à la ronde. Il défend tout du long l'idée que le grand public doit être guidé car il semblerait incapable de se faire une opinion valable par lui-même, exemple ici : "L'art comme la politique est entre les mains d'une minorité qui, pour diriger, doit rencontrer le public sur son propre terrain et étudier l'anatomie de l'opinion pour l'utiliser à bon escient. [...] Ce rôle actif qui en vérité incombe au musée lui impose de réfléchir à la manière dont il doit formuler son message pour le rendre intelligible au plus grand nombre. Il s'agit pour lui d'exercer au grand jour son autorité en matière d'esthétique."
Autre idée qui me dérange, de nos jours j'ai le sentiment que l'actualité politique et médiatique semble partir dans tous les sens, en fonction de ce qui aura réussi à accaparer le plus l'attention du public et qu'on perd du coup en efficacité pour la mise en place de solutions à long terme. C'est aussi une idée qu'il défendait. Ici, au sujet de la presse papier et de la propagande que peut y faire un conseiller en relation publique :
"Le conseiller en relations publiques qui parvient à insuffler la vie à une idée lui permet de prendre place dans l'air du temps et de recevoir l'attention qu'elle mérite. Il n'est sûrement pas coupable d'avoir « contaminé l'information à sa source ». Il a créé un des événements du moment, un fait qui doit rivaliser avec tous ceux portés à la connaissance du service de la rédaction."
Qui plus est, si cet essai reste d'actualité sur bien des points, il reflète aussi des idées dépassées : "Le bruit court qu'un grand financier se serait séparé d'un de ses associés parce que ce dernier venait de divorcer.
« Mais enfin, protesta l'associé, en quoi ma vie privée regarde-t-elle la banque ?
– Si tu n'es pas capable de remettre ta femme à sa place, s'entendit-il répondre, les gens ne vont sûrement pas croire que tu sauras placer leur argent. »
Le propagandiste doit traiter la personnalité comme n'importe quel autre fait objectif de sa compétence."
Par ailleurs, ses idées sont en bout de course aujourd'hui, elles sont à l'origine de la méfiance vis-à-vis des institutions politiques, médiatiques, financières etc.
Clairement ce livre peut être lu sans qu'on ait l'impression que Bernays (rien à voir avec la sauce) défend des idées pernicieuses. Il a d'ailleurs, en bon communicant, toujours fait attention à ne pas se faire "prendre" en pleine apologie d'élitisme. Pour se couvrir de toutes accusations de malveillance il rappelle régulièrement qu'il peut y avoir des dérapages mais que les relations publiques doivent être éthiques si ses propagandistes ne veulent pas perdre la confiance du "troupeau", mais ce texte n'en fait pas moins appel à l'usage de la manipulation dans l'ombre. Qui plus est, il n'applique pas cette bienveillance, notamment lorsqu'il a aidé la CIA à faire tomber le gouvernement élu démocratiquement du Guatemala pour défendre les intérêts d'une compagnie bananière américaine.
C'est donc instructif et ses méthodes ont fait leurs preuves mais pour les principes que cet essai sous-tend, l'élitisme qu'il défend, la malveillance qu'il dissimule sous prétexte de l'intérêt général, je pense qu'on peut dire que c'est une belle m... et impossible selon moi de mettre une note positive.
Malheureusement comme il le dit pour conclure : "La propagande ne cessera jamais d'exister." quel que soit le nom qu'on lui donne.