Le petit pavillon avec un bout d'jardin, c'est le rêve du Français moyen. Alors, quand ce sont des bobos qui font ce choix, ça tourne mal fatalement. Les bobos, vous savez ce sont ces gens que l'on raille partout : ils ont de l'argent mais ils ont le tort d'avoir une conscience écologique, donc le tort de rechercher un habitat HQE, de se déplacer à vélo, de trier leurs déchets, de cuisiner eux-mêmes leur soupe de topinambours (un délice soit dit en passant) et de s'approvisionner dans les magasins bio ou sur les marchés. Personnellement je préfèrerais toujours ces gens aux riches qui se foutent totalement de ces questions... mais je digresse, déjà.
Les bobos sont aussi ceux qui ont un capital culturel : ils ne sont pas, vulgairement, "attachés aux objets" (et je ne peux m'empêcher d'approuver). Par contre, ils lisent, donc lorsqu'ils déménagent, il faut déplacer "quelques milliers de livres". Pardon ? Quelques milliers de livres ? Faisons un rapide calcul : un gros lecteur comme moi avale une cinquantaine de livres par an (rappelons qu'on considère comme gros lecteur quelqu'un qui en lit 20). En trente ans de vie commune, à condition de tenir ce rythme tout en étant architecte ou dépressif, on obtient péniblement 1500 livres. Sauf, bien sûr, si l'on a affaire à deux gros lecteurs qui ne partagent aucune de leurs lectures... On a aussi affaire à des gens qui ne mettent jamais les pieds dans une bibliothèque municipale, ils achètent tout ce qu'ils lisent. La bibliothèque personnelle fournie, voilà un authentique marqueur de vanité culturelle.
Bon, mais je digresse encore, ce livre alors ? Nos bobos s'installent dans un lotissement et vont faire l'expérience de la vie en communauté : ses chats qui s'incrustent, ses ragots entre voisins, ses barbecues auquel on n'est pas invité (en tant que bobo, ce n'est qu'un juste retour des choses, non ?), tout ce que l'élite méprise. Classiquement, Julia Deck caractérise chaque voisin à la serpe. Mais c'est surtout les voisins immédiats qui retiennent l'attention : car Annabelle et Arnaud Lecoq sont sans-gêne. Annabelle, surtout, au-delà du vraisemblable. Julia Deck a voulu en faire des figures diaboliques, mais n'est pas Stephen King qui veut : ses Satan sont un peu faiblards. Un peu à l'image du roman, pas franchement mauvais, non, mais mollasson. Les intrigues versent dans le cliché (Eva qui couche avec Lecoq), dans le racoleur (Lecoq qui en fait était homo, ainsi qu'un autre voisin) ou dans l'invraisemblable (Charles qui est incarcéré sur la base d'éléments quand même assez légers). On comprend que les péripéties que subit Eva la poussent à finalement revendre son pavillon, à n'importe quel prix, pour réintégrer Paris : de propriété privée on est passé à privée de propriété. Très bien, le projet se tient. Mais il n'est pas exploité avec la cruauté et la verve nécessaire : d'où ce sentiment d'une chose un peu négligeable. Seule la toute fin (la dernière phrase en fait) est originale. L'ennui, c'est que je n'ai pas compris, quelqu'un peut-il m'expliquer ?! En tout cas, elle m'a sorti de la léthargie qu'avait installée le roman.
Tout cela risque de ne guère laisser de traces dans la mémoire du lecteur. Quant au style, il n'est pas plus remarquable. Le "tu" utilisé tout au long du roman rappelle Maria Pourcher, mais l'écriture de Julia Deck est moins tranchante. On sait que les Editions de Minuit tendent à retenir des romanciers à l'écriture assez peu chargée. Ce n'est intéressant que quand l'auteur a un petit quelque chose de personnel en plus : c'est le cas d'un Tanguy Viel ou d'un Vincent Almendros, beaucoup moins de cette Julia Deck, qui me semble privée de ces propriétés plus singulières.
Tout du moins au vu de ce roman-là.