J'ai été initié à ce livre lors d'un cours d'historiographie à la fac, où il m'avait été demandé d'en lire un extrait (principalement issus de la très longue introduction) et d'en écrire une explication de texte ainsi que du mouvement "post-colonial" qui était donc un des thèmes de ce cours d'historiographie. Bien que peu familier de l'histoire et de la culture indienne (ni de l'historiographie d'ailleurs), cet extrait m'avait suffisamment intéressé pour que je décide de me lancer dans la lecture complète du livre.
Mais, assez parlé de moi et entrons dans le vif du sujet. Chakrabarty soulève deux questions importantes:
1- Les outils issues des sciences sociales européennes, bien qu'appréciables et très performants sont-ils suffisants et justes pour analyser une société non-européenne ? L'auteur offre d'ailleurs un contre-exemple en demandant s'il serait pertinent d'analyser l'histoire de France à travers un prisme hindou.
2- La remise en question des modèles historicistes, affirmant qu'il existe des modèles évolutifs de société invariables d'une culture à une autre. Cette vision est notamment très présente dans le Marxisme (dont l'auteur se réclame), malheureusement, ce qui est applicable dans un pays A ne l'est pas forcément dans un pays B, chacun s'appropriant et adaptant modèles, idées, concepts en fonction de son background culturel et historique. Par exemple, l'application et la compréhension du marxisme en Allemagne de l'Est n'était pas la même qu'au Cambodge, qui n'était pas la même qu'en Albanie ou à Cuba.
Un autre point soulevé par Chakrabarty, bien que beaucoup moins développé est la question de la relation entre les historiens spécialisés sur l'Europe ou le monde occidental et les historiens spécialisés dans les régions extra-européennes (appelées subaltern-studies). Les seconds sont obligés de connaître l'histoire européenne, qui fait partie de leur formation, il n'est en revanche pas exigé (ni attendu) des premiers d'être informés sur les subaltern studies. Chakrabarty appelle donc à une plus grande prise en compte de ces subaltern studies dans l'écriture de l'Histoire, l'incluant dans la tendance initié par l'école des Annales pour une plus grande polyvalence des chercheurs en sciences sociales.
Une autre partie non-négligeable du livre (prenant surtout de l'importance à partir du dernier tiers) traite plus de la "pratique", où de la rencontre des idées nouvelles, venues d'Occident et introduises par les Britanniques et la culture bengalie (région de l'Inde d'où l'auteur tient ses origines), en d'autres termes, comment les bengalis se sont appropriés ces nouveaux concepts, comment ils ont remplacé progressivement des traditions (comme celle de l'adda, sorte de débat publique au Bengale, peu à peu remplacé par les discussions au Café à la manière des occidentaux), comment d'autres éléments culturels se sont mélangés et comment d'autres traditions locales sont restés immuables (l'exemple des grands-pères lisant le "Ramayana", oeuvre épique traditionnelle indienne, à plusieurs décennies d'intervalles).
Je dois cependant admettre, que la lecture de ce livre ne me fut pas toujours aisée, comme je le disais en introduction, je suis loin d'être un fin connaisseur de l'histoire et des cultures de l'Asie du Sud. De plus, il serait bon avant d'entamer la lecture de ce livre d'avoir au moins quelques connaissances élémentaires sur les principaux penseurs des sciences sociales, notamment Marx, Heidegger et Hobbes, auxquels l'auteur fait souvent référence. Ce fut, quoiqu'il en soit une lecture enrichissante et relativement prenante.