Pas aussi classique que ça en a l'air !

Le tome un de Magicien, puisque c'est le premier que j'ai lu, est tout à fait honorable.
À noter qu'il s'inscrit dans dans une trilogie et que les deux tomes de Magicien n'en sont qu'un, coupé en deux par l'édition française (du reste, il me semble).

Et franchement, ce premier tome commence plutôt pas mal. Alors oui, il met du temps à se mettre en place, et nous présente un univers très classique au premier abord (je dis pas ça pour rien). On a des Nains, des Elfes, des Hommes, des Gobelins et des dragons. Des royaumes en guerre, une invasion qui se profile, etc., etc.

Bah ma foi, même si j'ai pas lu énormément de fantasy jusqu'à présent, force est de constater que ça marche ! Les personnages qu'on pourrait croire caricaturaux contredisent rapidement nos attentes : je veux dire... on a un héros qui pense au cul, et le classique mage/sage censé l'accompagner dans son aventure ne l'est pas autant qu'on croit l'être. Kulgan (c'est son nom, au vieux) est un magicien qui se contente en réalité d'apprendre à Pug (le héros, oui, il porte le nom d'un chien) ce qu'on lui a appris des décennies plus tôt. Il récite, en somme. Et quand Pug lui demande "mais pourquoi ci ou ça ?", il répond souvent par un "Désolé, je ne sais pas...". Et ça, c'est couillu ! Parce que ça montre que le récit à priori très archétypal déconstruit peu à peu tous les poncifs lustrés jusqu'à la moëlle de la fantasy.
Pour preuve supplémentaire ; Pug, l'apprenti de Kulgan, se fouuuuuut de la magie ! Enfin, il ne s'en fout pas, mais ce n'est pas ce qu'il voulait faire. Pourtant, par abnégation, le type se donne à fond dans le domaine sans y arriver. Ce qui met en lumière le problème de Pug : il ne veut pas maîtriser la magie, ni même devenir un grand mage – son rêve étant d'être chevalier –, il veut la comprendre. Et l'enseignement très technique de celle-ci, l'enseignement dicté et récité, ne lui convient pas. Combien de récits se contentent de montrer un héros qui trime, mais qui ne prend jamais la peine de déconstruire les codes de leur propre univers (les héros du genre de Pug, j'entends, les ados, les gamins, les débutants, les novices, les vierges de toute réelle expérience, quoi que ça veuille dire).

Donc on a un héros conscient de ses préoccupations amoureuses, et qui refuse dès le début du tome un de suivre l'enseignement qu'on lui assigne, et qui donne même son titre à la saga. C'est pas révolutionnaire, mais c'est déjà beaucoup moins classique et stupide que Thomas le laisse entendre ! Et pas besoin de révolutionner un genre pour proposer une histoire de bonne facture !
Ceci dit, le milieu du tome existe.
Et là, Feist, t'as déconné. T'as déconné gentiment, on a vu pire, c'est pas une cata, mais t'as déconné.

Pour pas spoiler, vient un moment où Pug et son ami sont amenés à partir en voyage au sein de la troupe ducale de Crydee pour des raisons que je vous laisse le plaisir (?) de découvrir. Et franchement, ce départ brusque pose de gros enjeux qui moi, me bottaient vraiment. Et pour moi, l'enjeu principal de ce départ n'est pas le sort du monde, mais ce que ça implique pour la suite de la relation Pug/Carline. Obligés de s'attendre, des semaines, des mois, peut-être des années avant de se retrouver. Quand t'es un gamin, un puceau de la vie, et même si derrière le royaume joue son avenir, ce genre de décision forge un homme. Et là, Pug décide de partir.
Le problème... c'est que c'est mou. Non pas qu'il ne se passe rien lors de ce périple, mais... le rythme, la narration, les qualités du roman précédemment citées... Tout devient mou. Et pour une raison très simple ; Feist ne raconte pas un voyage semé d'embûches, il raconte des étapes. Et parfois, entre ces étapes, on a une description de paysage, un décor qui se plante à la va-vite, et même quelques chapitres qui se concentrent sur des galèrent de progression. Et c’est un problème, vu que les personnages, eux, ressentent bien ce fameux vertige des distances, un peu comme celui qu’on retrouve au sein de la Communauté de l’Anneau dans le SdA (paye tes références pachydermiques Louis, je te félicite pas). On se retrouve avec une troupe qui en chie, qui trime au passage d’un col de montagnes enneigées, mais sans que le lecteur (moi en l’occurrence) ne le ressente. On le sait, oui, mais c’est tout. Parce que l’auteur, un peu comme Dabos dans La Passe-miroir, ne reste qu’en surface des mots, il ne fait qu’effleurer les sensations que l’on devrait éprouver alors… Et finalement, ça renvoie une forme de… bon, le mot est fort, mais un minimalisme narratif où l’auteur nous dit sans vraiment nous montrer, sans aller plus loin que la description de températures, d’environnements ou de visages las. Donc je ne m’y plonge pas, donc je tire la gueule en lisant ça.
Et pour le coup je suis obligé d’être d'accord avec les critiques récurrentes de Magicien ; cette partie est diablement linéaire, et tout habitué des romans de fantasy risque de n’avoir aucune grande surprise durant ces chapitres. Donc, moi, je dis dommage.

Un autre blâme que je donne à cette partie du récit est la disparition de cette volonté de déconstruction qui faisait le charme des débuts. J’ai parlé de linéarité du récit, mais il faut savoir que la magie, et toutes les notions qui s’y rapportent, disparaissent de ce pan entier du premier tome. Alors qu’on commençait tout juste à entrevoir le potentiel de la relation ténue entre Pug et la magie. Même Kulgan, qui est du voyage, ne s’illustre que rarement en sa qualité de mage attitré de Crydee.
Vous me direz (parce que vous adorez me couper et me contredire), ça pourrait aussi surligner davantage l’aspect « faillible » de Kulgan, qui n’est pas le grand sage qu’on veut bien nous faire croire, mais… même si c’est ça, la raison, j’en vois pas vraiment l’intérêt, étant donné qu’on nous a déjà montré et déconstruit le mythe du magicien puits de savoir. Là, ça forme juste un creux dans le récit. Après, je conçois que les thèmes esquissés par le début du tome n’auraient pas spécialement leur place ici, en plein chamboulement politique et historique du royaume, mais malgré ça, je ne peux pas m’empêcher de penser que gâcher, c’est mal. Au risque de me répéter, c'est dommage.

D’ailleurs, dès que Feist en termine avec ce semblant d’odyssée et qu’il recentre l’action à Crydee, l’histoire redevient aussi intéressante qu’à ses débuts. On retrouve la manie qu’à l’auteur de jouer avec les expectatives du lecteur, en le prenant (doucement) à revers. Et je pense notamment au personnage de Carline, qui m’a tellement frustré tant il est bien écrit.
Et là, je suis obligé de spoiler un peu, vous m’excuserez. À ce moment-là, il s’est écoulé deux ou trois ans depuis le départ de Pug, départ qui s’est scellé sur une promesse entre les deux jeunes tourtereaux : « Je t’aimerai toujours, je t’attendrai ». Dans beaucoup d’autres bouquins du genre, Carline aurait effectivement attendu Pug, se serait glissée dans les traits d’une Pénélope attendant des années durant le retour de son Ulysse.
Pas là.
Carline a grandit, elle a bien dix-huit piges, et les rumeurs de la mort de Pug se répandant, Carline finit par céder à l’amour enfoui pour un autre de ses amis, qu’elle refoulait depuis des années. Et bordel, qu’est-ce que c’est frustrant, qu’est-ce que c’est bien fait. Encore une fois, non, ça n’a rien de bien révolutionnaire, comme développement de personnage, mais c’est tellement organique, tellement tristement logique, et en même temps porteur d’espoir pour cette jeune femme qui se laissait jusque là dévorer par le chagrin, que ça mérite qu’on le note. Peu sont les histoires partant d’un postulat aussi archétypal à prendre ces directions. Souvent, quand deux jeunes personnages se font la promesse de s’aimer pour toujours et à jamais, ils la tiennent, et finissent leurs jours ensemble, tels Aragorn et Arwen. Et même si je suis très friand de cette approche de l’Amour, ben… ouais, faut bien admettre que ça se résume pas à ça, que l’amour ça fait mal, ça change comme la marée, ça tangue, ça vire, c’est incertain… Moi, ça m’a franchement fait mal de lire ça, de voir que Pug venait de perdre sans le savoir la fille qu’il aimait follement, mais… c’est bon de le rappeler, je pense. Ouais, c’est bon de le rappeler.

Et en fait, c’est là que je veux en venir ; Feist est un auteur qui gère bien mieux l’écriture de personnages que le plantage d’univers et l’illustration d’environnements. Et clairement, il a l’air de le savoir et de composer avec. Les personnages de Magicien ne payent pas de mine, ils ne sont jamais des légendes vivantes, et les guerriers les plus talentueux restent des bonhommes de viande ferraillés, les grands mages ne sont que les anciens élèves doués d’autres magiciens se contentant souvent de réciter à leurs disciples ce qu’ils savent, et ne comprennent pas toujours le Pourquoi de leur propre matière. Et Kulgan s’en veut même un peu, en voyant un Pug victime de cette approche pédagogique. J’aime ce côté du héros qui n’est pas rebelle pour un sou, mais qui, à la manière d’un Montaigne de poche, va essayer de dessouder les méthodes d’enseignement de son maître pour comprendre enfin cette matière qui demande peut-être plus d’esprit et de coeur que de logique brute.

Rien que pour ça, je ne pense pas qu’on puisse taxer Magicien de roman au stupide schéma narratif prémâché. C’est un premier tome vraiment honnête, qui pose des bases foutrement intéressantes malgré un milieu qui sonne comme un faux-départ. Avant de tomber dans l’écueil du post scriptum, j’ajoute que les réactions des personnages sont aussi très appréciables ; les jeunes adultes (pour ne pas utiliser le mot-dit que je conchie, à savoir « adolescent ») sont dépeints dans toute leur immaturité, leur jeunesse, leur virginité d’existence. Et ça, j’aime.

BrandoFriso
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le 4 août 2020

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Lucien Traviole

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