Pygmalion
7.5
Pygmalion

livre de George Bernard Shaw (1912)

"Peut-il faire quelque chose de vous ? Toute la question est là." ou pas

Je suis assez perturbée par le fait que l’on nomme “effet Pygmalion” les prophéties autoréalisatrices (ou celles dans le domaine scolaire au moins). Les prophéties autoréalisatrices, c’est le fait que les attentes vont se réaliser parce que le fait même d’avoir des attentes envers une personne va changer notre comportement à son égard. C’est peut-être une part de ce que l’on voit dans l’idée d’Eliza “La différence entre une lady et une vendeuse de fleurs n’est pas dans la manière dont elles se conduisent, mais dans la manière dont elles sont traitées“. J’adore le concept des prophéties autoréalisatrices. Et c’est vraiment quelque chose d’important, en particulier parce que ça montre les effets fourbes que peuvent avoir les préjugés. D’où l’importance de considérer tout le monde de la même manière. Mais vraiment, Higgins, quitte à traiter tout le monde de la même manière : autant traiter tout le monde bien que traiter tout le monde mal ! “Lui traite une vendeuse de fleurs comme si elle était une duchesse. - Et moi, je traite une duchesse comme si elle était une vendeuse de fleurs.


Je disais donc que j’étais perturbée. Pourquoi donc ? Parce que justement, Higgins n’a pas du une attitude saine et positive. Les prophéties auto-réalisatrices sont saines et positives. Du moins de la façon dont je les vois. C’est le fait de voir le potentiel dans les autres, de croire entre eux, de leur montrer que l’on croit en eux, de les soutenir,... Le fait qu’Higgins transforme Eliza n’a pas grand chose à voir avec les prophéties auto-réalisatrices. Higgins, ce serait plutôt ce psy spécialiste du conditionnement qui disait que si on lui donnait plein de bébés il les rendrait dans quelques années exactement tels qu’il a déterminé qu’ils seraient, quelle que soit la profession où le je ne sais quoi qu’il a déterminé arbitrairement pour chacun. Quelque chose d’assez effrayant, mais impossible de retrouver son nom ou la citation en question. Eliza n’est pas un être humain à ses yeux, mais un jouet, une statue à modeler à sa guise, un défi à relever, une façon de prouver sa compétence.


Eliza, Eliza ! Je la trouvait plutôt capricieuse au début. Je le pense toujours ; elle ferait mieux d’exprimer ce qu’elle ressent au lieu de piquer une crise. Je sais que c’est gros comme une maison mais comprends que lui il ne le comprends pas : que tu as besoin d’affection, que l’on fasse attention à toi, qu’il te montre que tu représentes quelque chose pour lui, que ça ne lui est pas indifférent de t’avoir ou non dans sa vie,... Words of affirmation, yay ! Higgins est froid, insensible, égoïste, ne considère pas vraiment les autres comme des êtres humains. Bien sûr que non je ne vais pas le défendre. En fait j’ai presque pitié de lui, il-y-a quelque chose de tragique dans l’autosatisfaction. Il ne lui fournit pas d’appréciation parce qu’il ne réalise pas qu’elle en a besoin, et ce parce que lui n’en a jamais éprouvé le besoin. Il est seul et le sera éternellement, parce que convaincu qu’il est déjà parfait et que personne ne peux rien avoir à lui apporter, qu’il n’a rien à apprendre des autres. “La question n’est pas de savoir si je vous traite grossièrement, mais si vous m’avez jamais entendu traiter quelqu’un avec plus de courtoisie.


Vraiment, ça lui écorcherait la gorge de dire un mot gentil de temps en temps ? Le problème ce n’est pas juste qu’il refuse d’exprimer son appréciation pour les autres, c’est aussi et surtout qu’il n’en a pas. Il ne lui montre pas d’estime parce qu’il n’en voit pas l’utilité mais aussi et surtout parce qu’il n’en a pas pour elle.... Jusqu’au moment où elle cesse de quémander son affection. Et là on touche un point intéressant. Plus qu’une simple immaturité je te veux seulement quand je ne peux pas t’avoir comme on pourrait le penser à première vue. Il ne peut pas l’estimer tant qu’elle l’idolâtre et se contente d’essayer de le satisfaire. Il ne le peut qu’à partir du moment où elle devient sa propre personne, avec ses propres idées individuelles et la volonté d’être reconnue en tant que personne. “Quelle bonne créature conforme à l’idéal que j’avais !” n’aurait jamais pu être un bon compliment. Comment l’estimer pour quelque chose qu’il a fait lui-même ? Aimer sa création, ce n’est encore et toujours que s’aimer sois-même. Et on en arrive à l’échec cuisant et inévitable de ce que j’aurais appelé Effet Pygmalion si le nom n’était pas déjà employé pour désigner des prophéties autoréalisatrices (qui elles n’ont rien de malsain ou de condamné à l’échec). Le fait de vouloir changer les gens, c’est voué à l’échec. On peut aider les gens à changer, s’ils veulent changer par ou pour eux-mêmes, pour le changement et pas pour nous faire plaisir. Eliza dit clairement qu’elle n’a fait tout ça que pour avoir son affection.


Un nouvel exemple de la façon dont les attentes influencent la réalité ? My fair lady. Les attentes du public, sous-tendues par le fantasme collectif de pouvoir changer les gens que l’on aime par notre amour et l’idée que les personnages principaux doivent finir ensemble, ont aboutit à une petite modification de rien du tout qui rapporte probablement de l’argent. Petite modification de rien du tout ? vraiment ? Ce n’est pas possible qu’Eliza et Higgins finissent ensemble ! Sérieusement, quel exemple ça donne ? Mais bon, ce ne sera pas la première fiction à utiliser le trope I Can Change My Beloved en faisant croire que c’est vraiment une option possible (ni la dernière). Mais non, continuez à nourrir les fantasmes du public et à romanticizer des choses comme ça, au pire ils se retrouverons empêtrés dans des relations abusives, ce n’est pas la mer à boire. C’est bien la peine que Shaw se soit donné la peine de défendre son choix. Même si je vous avoue que j’ai un peu de mal avec sa justification. Eliza est forte elle-même, elle n’a pas envie d’être dominée : c’est très bien, c’est fantastique ! A+ féminisme Shaw. Mais pourquoi tout justifier en termes de fort/faible et dire que si elle ne veut pas être dominée il faut qu’elle finisse avec un faible et domine elle-même, ou quelque chose dans ce goût là ? C’est pas possible une relation mutuellement bénéfique où les deux partis sont sur un pied d’égalité et ont mutuellement des choses à s’apporter et de l’estime l’un pour l’autre ? Faut croire que c’est plus idéaliste que de croire qu’on peut changer quelqu’un et modeler les autres êtres humains à notre guise, apparemment.

Miss-Naïs
8
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le 13 mai 2015

Critique lue 193 fois

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