Qu’il dût être ardu de se faire une place, serait-ce minime, dans le paysage de la fantasy jeunesse il y a vingt ans de cela ! Car, pour peu que vous ayez par miracle échappé au phénomène, Harry Potter occupait alors tous les esprits : pour autant, s’il est indéniable que celui-ci s’arrogeait la grande majorité de la couverture médiatique, l’industrie littéraire n’était pas pour autant à l’arrêt.
En France d’ailleurs, quelques auteurs tirèrent leur épingle du jeu, tel Erik L’Homme avec sa toute première fiction : Le Livre des Étoiles. Une trilogie qui, si elle n’a forcément pas l’aura des aventures du sorcier à lunettes, ni la profondeur thématique, fut un joli succès et l’une de mes lectures chéries d’enfance : se replonger en son sein constitue donc un exercice liant le plaisir de la redécouverte à un regard différent, lui qui suppose d’atténuer en toute ou partie d’avantageux souvenirs.
Car la relecture de son premier tome, Qadehar le Sorcier, est sans appel : sympathique, fluide à souhait mais sacrément « inoffensif ». Nonobstant d’évidentes références plus pointues, telle l’œuvre de Raymond E. Feist (encore qu’il ne s’agisse que d’une supposition), l’intérêt que suscite le Pays d’Ys tient davantage de sa situation d’île séparé du continent que du tumulte l’habitant, lui qui va ébaucher pèle-mêle une quête initiatique tout ce qu’il y a de plus commun.
Le problème étant que cette entrée en matière est d’une part des plus sages, et de l’autre assez discrète sur le plan dimensionnel : certes, le nutella ou encore la technologie s’immisce dans un cadre résolument médiéval, ayant échappé des siècles durant à l’évolution de notre civilisation, mais cela demeure peu. Pour autant, il serait malvenu de cracher dans la soupe, quelques bonnes idées s’ébauchant notamment sous l’égide de Gifdu, sommet magique n’excluant paradoxalement pas l’usage de l’informatique.
Gageant que les deux prochains volets creuseront probablement la question du Monde Certain, des renonçants et compagnie, l’introduction se veut donc très parcimonieuse. Sans aller jusqu’à la grimace, le développement on ne peut plus conventionnel de Pug, pardon, Guillemot, promis à un avenir exceptionnel tandis que son passé s’avère (ô surprise) tissé de mystères, est intéressant à défaut d’enthousiasmer. L’incursion de ce dernier et de ses camarades dans le Monde Incertain est par exemple symptomatique des limites du tout, Erik L’Homme paraissant favoriser à n’en plus finir l’étiquette jeunesse de son roman au détriment de toutes perturbations significatives.
Alors que tout tendait à désigner ce territoire comme un lieu de non-droit hautement dangereux, voire carrément sauvage, cette petite excursion sans réelle anicroches nous laisse sur notre faim. Mieux vaut donc en l’état en revenir aux promesses attrayantes qu’évoque cet univers fantastique en trois strates, toutes connectées par le Wyrd : d’ailleurs, le concept des graphèmes et les grands principes de la magie à l’œuvre démontre d’un véritable effort de recherche de la part de l’auteur, qui sans révolutionner la chose ne se destine pas à s’égarer dans une impasse non-maîtrisée comme le fera Eragon.
Bref, espérons tout de même que Le Seigneur Sha et Le Visage de l’Ombre confirmeront les quelques bonnes prédispositions introduites ici, car le potentiel est certain.