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Placé sous la direction de Véronique Campan, Marie Martin et Sylvie Rollet, toutes trois enseignantes à l’Université de Poitiers, Qu’est-ce qu’un geste politique au cinéma ?, paru aux Presses Universitaires de Rennes, allie la finesse des analyses académiques et les théories de Giorgio Agamben issues de ses « Notes sur le geste », publiées en 1992. L’objectif est louable : questionner le geste politique selon trois axes, ceux de l’émetteur (le cinéaste), du récepteur (le public) et du système interne des films (les acteurs, les situations).
Nombreux sont ici les intellectuels, les auteurs et les cinéastes. Les premiers, de Giorgio Agamben à Gilles Deleuze en passant par Michel Foucault, Aristote ou Walter Benjamin, guident la réflexion des seconds, dont les textes forment le corps de l’ouvrage. Les derniers, mis à part les Jean-Luc Godard, Fritz Lang, Claude Lanzmann ou Pier Paolo Pasolini, n’ont rien de majuscule : Abbas Kiarostami, Wang Bing, Harun Farocki ou même Želimir Žilnik ne figurent peut-être pas parmi les réalisateurs fétichisés par les cinéphiles, mais ils ont néanmoins le mérite de mettre en exergue le geste dont cet ouvrage entend faire l’examen.
Malgré une remarquable entreprise de vulgarisation, Qu’est-ce qu’un geste politique au cinéma ? demeurera inaccessible à certains. Le lecteur est transporté d’une notion à l’autre, du faire à l’agir, de poïesis à praxis, d’ethos à logos, du regard détourné à l’« être-en-commun ». La polysémie du geste, de sa confection et de sa réception ouvre la voie à une multiplicité des approches : Pierre-Damien Huyghe évoque la sensibilité des appareils de prise de vues ; Damien Marguet mentionne une « médialité pure » et un art de la suspension et de la réitération ; Véronique Campan perce l’ethos du regard et le triptyque être vu, montrer, regarder, avant de se pencher sur le corps angélique ; Marie Martin s’intéresse à la gestation et l’accouchement, au visible et à l’invisible, à la double ouverture des séquences de mise au monde ; Sylvie Rollet analyse le geste déplacé et le dissensus pendant qu’Emmanuel Siety fait de même avec l’être traversé – ses ressentis – et traversant – son environnement ; Martin Goutte sonde les fonctions du témoignage documentaire, mais aussi l’incommunicable, son appréhension et son dépassement…
Certains cinéastes – Xavier Christiaens, Sylvain George, Sothean Nhieim – se prêtent à l’exercice clinique et permettent au lecteur de se confronter à l’analyse pratique d’un geste politique, pensé et décrypté par son auteur. Sans aucune prétention d’exhaustivité, les auteurs énoncent par ailleurs les titres et leur étoffe : Shirin confère aux femmes iraniennes le statut de sujets politiques et participe de la détermination culturelle du regard ; M le Maudit se concentre sur les yeux, les mains, les empreintes, mais aussi les perspectives ; le Spiderman de Sam Raimi fait de la capture de l’espace un geste politique ; Prison Images démontre la partialité des conditions d’enregistrement des images ; La Blessure donne lieu à une parole empêchée… Chez Jean-Luc Godard, Emmanuel Siety décèlera une forme de syntaxe gestuelle. Chez Wang Bing, cette gestuelle est partagée dans une communion ascétique entre le cinéaste et son sujet, comme le démontrera Caroline Renard.
Prétendre résumer Qu’est-ce qu’un geste politique au cinéma ? en quelques paragraphes relèverait de la gageure. L’ouvrage foisonne de détails et d’analyses, le plus souvent en liaison directe avec les réflexions de Giorgio Agamben sur le cinéma. S’ils ne sont pas toujours faciles à appréhender, les textes proposés passent au peigne fin tout ce qui peut constituer la chair politique d’un film : une échelle de plan, un motif, des personnages, un décor… En ce sens, « inépuisable » serait peut-être le qualificatif le plus approprié pour définir cet ambitieux travail.
Critique publiée sur Le Mag du Ciné
Créée
le 3 mai 2019
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