Cet essai sur l'art de Tolstoï aurait pu être sacrément brillant s'il n'était pas autant biaisé. On est ici dans le pur prosélytisme religieux et dans l'hagiographie idéologique la plus complète.

Tolstoï commence par passer une bonne partie du livre à réfuter la conception de l'art des esthéticiens de renom essentiellement basée sur le plaisir et la beauté pour proposer une définition à lui et pour conclure que la conscience religieuse est une règle fixe nécessaire pour discerner le bon art du mauvais... Si j'aime sa proposition qui est de définir l'art par une transmission sincère et partagée de sentiments et d'émotions entre les hommes (par le moyen de mots, de visuels, de sons...) pour aboutir à un art plus fédérateur et moins disparate tout est gâché par son dogmatisme religieux. Pour lui "l'art véritable" ne peut venir que d'une conscience religieuse... Il va reprocher à pleins d'artistes reconnus d'utiliser un terme vide de sens et mal défini "beauté" pour de son côté parler d' "âme" et de "Dieu" sans aucune pression... Tout ça manque clairement de recul.

L'un de ses constats centraux c'est que la baisse de foi des classes dominantes de son temps a perverti la vision de l'art et que, par la même occasion le Christianisme primitif universaliste a été perverti par l'église. Déjà j'aimerais que Tolstoï m'explique comment il peut connaître le vrai Christianisme originel sachant qu'on a encore jamais trouvé les originaux du Nouveau Testament. Et j'aimerais surtout lui rapeller que dans les plus vieux évangiles à disposition on y découvre un Jésus intégriste qui discriminait les païens... Et donc que le Christ n'était pas universaliste.

C'est dommage car j'ai quand même noté quelques réflexions assez lucides et pertinentes. Je pense aux passages où il dit que produire des imitations et des contrefaçons d'arts est un moyen de satisfaire indéfiniment le plaisir du peuple qui fait vivre les artistes (il dit que c'est plus la force de l'habitude qui est d'être exposé continuellement aux mêmes oeuvres qui nous fait croire qu'on les aiment...) ou à celui où il explique que définir un concept par les émotions qu'il procure chez nous est abscon mais c'est trop rare et tout est à chaque fois contrebalancé par son dogme moral religieux.

Tolstoï va taper sur tout ce qui n'est pas conforme à son art chrétien. Il va critiquer l'élitisme des critiques d'arts qui amène une séparation sociale pour ensuite critiquer la pédagogie des écoles d'arts... Rien ne trouve grâce à ses yeux, toute originalité et complexité va être proscrite car ne collant pas à la vision simpliste et toute faite de son art chrétien démago... Il n'y a qu'à voir comment il rejette les poèmes de Verlaine et de Baudelaire et les musiques de Wagner et de Beethoven au simple motif que ce sont des oeuvres obscures et subversives... Pour lui la poésie trop suggestive est "décadente"...

Aussi je ne partage pas du tout cette vision qui est de prétendre que ce sont toujours les artistes qui ont des devoirs et des impératifs pour faire comprendre leurs oeuvres, je n'aime pas ce manichéisme qui est de systématiquement remettre en question les intentions et/ou le savoir faire de l'artiste mais jamais le rôle ni la responsabilité de ceux qui reçoivent dans leur faculté à assimiler les choses... Comme si le goût ne s'éduquait pas, comme si la sensibilité ne se travaillait pas, comme si le niveau de culture n'avait aucun intérêt pour appréhender et comprendre une oeuvre...

J'aimerais bien faire abstraction de son dogmatisme religieux excessivement Apollinien (pour reprendre le terme esthétique de Nietzsche) pour me focaliser sur les réflexions censées mais c'est impossible car son idée de "conscience religieuse" représente le coeur de toute son argumentation. Tu ne peux pas constamment rabâcher que seul l'art religieux est universaliste tout en éludant l'histoire de la guerre des religions et les divers conflits idéologiques que ça a entraînés.

Vouloir redéfinir l'art sans recourir à la beauté parce que le "beau" est un sentiment beaucoup trop subjectif et arbitraire qui nous sert juste à faire entrer dans celui-ci que ce qu'on aime part d'une bonne base et d'une bonne intention, encore faudrait-il ne pas faire exactement la même chose de son côté : redéfinir l'art pour y mettre sa religiosité.

La quantité d'aberrations présente dans ce livre est malheureusement bien trop importante pour que je donne la moyenne à cet essai. Ça prône une vision de l'art qui vise à une uniformisation consensuelle et qui est un danger pour la liberté et la diversité créative et artistique. Tolstoï est tellement obnubilé par son utopie d'art religieux qu'il en a perdu toute sensibilité pour ce qui s'en éloigne. Ce qui va l'amener à une conception du talent artistique assez étrange et restrictive et qui est pour lui la simple mémorisation et application des techniques des arts...

J'ai la vision d'un penseur perdu dès qu'il n'a pas sa solution toute faite ni sa petite grille de lecture simpliste pré-établie comme dans sa Bible pour appréhender le monde. Ce n'est pas rigoureux d'avoir un regard aussi acéré et critique sur la société pour derrière être aussi candide avec sa religion...

S'en est biaisé et réactionnaire à un point presque gênant pour cet homme.

MrShepard
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le 17 févr. 2023

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MrShepard

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