Kazuo Ishiguro est un cas à part dans la littérature (voir la liste de Rawi :

http://www.senscritique.com/liste/Kazuo_Ishiguro/228316)

et ce roman en est la parfaite illustration. Le titre laisse imaginer un roman nostalgique centré sur des relations familiales absentes ou perdues. Par certains aspects, c’est aussi bien un roman d’aventures qu’un roman sentimental, mais la trame est une enquête qui s’étale sur plusieurs décennies. C’est très curieux, car si le personnage principal est l’enquêteur en titre, il ne révèle jamais ses méthodes. C’est toujours au lecteur de comprendre, bien souvent en lisant entre les lignes, le passage d’une période à une autre laissant une large part à l’imaginaire.

Au début, le personnage principal, Christopher Banks vient de s’établir détective à Londres. Il résout quelques énigmes en digne émule de Sherlock Holmes. Il se sent les épaules suffisamment larges pour assumer une telle comparaison, cependant sa réputation n’est pas encore à ce niveau.

Lors d’un dîner mondain, le charme de la jeune Sarah Hemmings lui saute aux yeux, de loin. Comme ils fréquentent plus ou moins la même société, un jour, très naturellement, elle fait les présentations. Dans la foulée, elle lui demande s’il est invité au dîner donné par la fondation Meredith, en l’honneur de sir Cecil Medhurst. Effectivement. Le soir dit, quand il arrive dans le hall de l’hôtel Claridge, elle est là. Tout aussi naturellement, elle l’accompagne et réussit à se faire inviter…

Pourtant, Sarah va sortir de la vie de Christopher. Celui-ci va adopter une jeune orpheline venue de loin, Jennifer pour qui il sera un véritable père.

Le narrateur nous relate ensuite quelques souvenirs de son enfance à Shanghai, dans les années 1910-1920. Il se souvient en particulier d’Akira, son ami japonais. A l’époque, Christopher était « Puffin » pour ses parents, son « oncle » Philip ainsi que pour Mei Li son amah (sa gouvernante). Malgré des souvenirs vagues, Christopher cherche désespérément à comprendre pourquoi ses parents ont disparu l’un après l’autre. Que sont-ils devenus ? Rapatrié en Angleterre, Christopher a été recueilli par une tante, sa dernière parente.

Depuis l’Angleterre, au fil des années, Christopher a mené son enquête. Pour en avoir le cœur net, en 1937 il décide d’aller à Shanghai.

Le style de Kazuo Ishiguro dans ce roman me fait irrésistiblement penser à celui d’Henry James invitant constamment à chercher l’image dans le tapis. De l’enquête réelle avant le retour à Shanghai, on ne saura jamais rien. Par contre, les faits et gestes de Christopher sur place sont détaillés. Il est sur les traces de tous ceux qui ont joué un rôle dans sa vie. Tout s’est compliqué avec les différents conflits militaires et les visées d’un seigneur de la guerre. La clé de l’énigme se situerait chez un acteur aveugle, Yeh Chen. Malheureusement, l’accès de sa maison est très difficile, surtout en pleine guerre.

Le roman est divisé en 7 parties, les trois premières se situant à Londres en 1930, 1931 puis 1937. L’épilogue se situe à Londres en 1958.

Le roman parle donc de la mémoire. Il parle aussi de Shanghai à une époque où toutes sortes de communautés s’y côtoyaient. Visiblement Kazuo Ishiguro parle d’un lieu et d’une époque qui lui tiennent à cœur. Il joue avec le lecteur, se montrant très déroutant en lui laissant tout imaginer de l’enquête. Ceci dit, la partie à Shanghai montre bien tout le cheminement et les difficultés rencontrées par Christopher. Le drame est autant historique que familial. Le sujet principal est probablement le destin, puisqu’à travers le personnage de Christopher, Kazuo Ishiguro se livre un peu. Si les circonstances avaient été différentes, Christopher aurait pu avoir un autre destin, trouver une sorte d’équilibre sentimental et familial. Japonais d’origine, Kazuo Ishiguro éprouve une grande nostalgie pour cette culture, mais la vie a décidé de faire de lui un anglais. Tout compte fait, il est un digne sujet de sa très gracieuse majesté.

La lecture est très particulière aussi. Ishiguro écrit dans un style très riche, avec de longues phrases où il ne craint jamais de jouer avec les temps des verbes, montrant qu’il maîtrise parfaitement sa langue. Encore une fois, il tient à montrer qu’il est peut être plus anglais que n’importe qui, malgré ses origines asiatiques. Il va jusqu’à ironiser, faisant demander par le jeune Christopher à l’oncle Philip « Comment pourrais-je devenir plus anglais ? » Ce à quoi Philip tente de lui expliquer qu’il est déjà tout ce qu’il y a de plus anglais… Exactement comme Kazuo Ishiguro !
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le 22 déc. 2013

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