Si Que ma joie demeure a autant d’impact pour un lecteur d’aujourd’hui, c’est parce qu’il représente une époque révolue où il y avait une certaine harmonie entre l’homme et la Nature. Jean Giono ne prend d’ailleurs pas des personnages quelconques pour illustrer ce fait. Ce sont des ruraux, pour la plupart fermiers tentant de vivre une existence ponctuée par le labeur au rythme du cycle des saisons. L’arrivée de Bobi, leur redonne goût à la fraternité ( grâce au partage d’un repas ou à l’incitation à prendre soin des uns et des autres) et leur fait revoir leur façon de cultiver la terre de manière différente. Pourtant, dans ses descriptions, Giono semble suggérer que les habitants de Grémone sont des figurants face à la toute puissance naturelle dictant les comportements des animaux ou les poussées de sèves des végétaux. On le sent bien car les histoires de Jourdan, Aurore/Hélène, de Jacquou et des autres sont presque anecdotiques, qu’ils sont eux aussi comme des sujets liés eux aussi aux passions, aux colères, aux contentements passagers ( une ballade à cheval, un cochonnet supplémentaire qui sera nourri grâce au lait d’une chèvre, un champ de fleur de narcisses pour célébrer la beauté végétale du monde méridional). Le lecteur, témoin de ces moments privilégiés, est aussi ramené à la réalité par deux drames touchant cette communauté car même si la joie doit s’exprimer, la solitude et la dépression pointent et font mal. La nature humaine ayant ses limites quand elle se sent mise de côté, mal considérée au sein du troupeau, inexorablement seule. Jean Giono, encore une fois ne dissocie pas le miracle de la vie de son côté obscur qui sème la douleur et l’angoisse chez les plus sensibles ( ici Aurore et Bobi, parfois happés par leurs propres tourments). C’est ce qui rend la lecture de Que ma joie demeure ancrée dans le réalisme de la vie qui ne donne pas tout mais dépossède et frappe pour rappeler que le malheur humain existe et s’exprime envers et contre tout. Une posture que Jean Giono veut transmettre car il n’est pas de ceux qui s’aveuglent devant les insatisfactions chroniques et existentielles de la condition humaine.