Tiens, la dernière fois, dans un post IG France Inter, j’entends Laure Adler, sourire radieux et lunettes noires, affirmer au sujet du roman de Kévin Lambert : « C’est un livre qui m’a donné de la joie, de l’oxygène, de la vitalité et de l’énergie blabla… c’est de la grande littérature blabla… absolument magnifique blabla… Je l’ai lu sur le tarmac d’un avion, sur mon portable blabla... véritable thriller blabla... »
Bon et bien moi, c’est simple, c’est EXACTEMENT l’inverse !
D’abord, je lis au lit et dans un livre. Ensuite, pour être franche, je ne me suis presque jamais autant ennuyée en lisant un roman, j’ai même cru étouffer tellement les phrases à rallonge obligent à une lecture en apnée. Et plus le temps passait, plus je me réfugiais dans d’autres activités plutôt que de lire. Bref, le cauchemar. Mais, je ne veux pas en rester là. J’aimerais tenter de me justifier et de dire pourquoi je n’ai pas aimé et pourquoi d’autres ont adoré (s’ils sont honnêtes dans leur critique.) Ce livre a été primé. Il a donc été apprécié. Voyons voyons…
Pour tout dire, ce n’est pas ma première expérience malheureuse avec Kévin Lambert. J’ai tenté, autrefois, de lire « Querelle de Roberval » : en vain. J’avais trouvé ce texte sans intérêt et je n’en comprenais absolument pas le propos.
« Que notre joie demeure » se présente comme un texte très serré : pas de dialogues ou très peu, beaucoup de descriptions ou de considérations sociologiques, des phrases très longues – mais pourquoi pas. Le problème, c’est qu’à chaque page, il me semblait voir les coutures du texte, le mode de fabrication, l’effet recherché, comme si les procédés mis en œuvre n’avaient rien de digéré (alors évidemment, quand on en est arrivé aux multiples références à Proust, j’ai éclaté de rire!) (on avait compris Kévin, n’en fais pas trop quand même!) Continuons. La dimension cinématographique est omniprésente (là aussi, le procédé est très appuyé) : au début du roman, dans un très long plan-séquence, la caméra semble constamment tourner autour des personnages réunis pour une réception chez les ultra-riches. On survole tout ce beau monde, allant de l’un à l’autre et chopant ici et là des bribes de conversations. C’est une soirée d’anniversaire, les gens (qu’on ne connaît pas, donc on essaie péniblement de repérer qui ils sont …) sont tous vaguement bourrés et les conversations sans grand intérêt (ce n’est pas moi qui le dis mais le texte) se prolongent sur quatre-vingt-neuf pages.
Jusque là, il serait malhonnête de dire que cela nous donne de la joie, de l’oxygène, encore moins de la vitalité… Quant à parler de thriller… Mais bon, ce n’est que le début, on y croit encore...
Ensuite, on apprend que le personnage central du roman, une architecte hyper-friquée, Céline Wachowski, a conçu un bâtiment pour le siège social d’une entreprise Webuy à Montréal. Pour différentes raisons, elle ne pourra élever le bâtiment de ses rêves, comme toujours j’imagine quand un archi a un projet grandiose en tête et que des contraintes économiques le ramènent sur terre. Les travaux commencent. Or, un beau jour, elle découvre qu’un article paru dans le New-Yorker attaque son travail, l’accusant, entre autres, de favoriser la « gentrification ». Évidemment, ladite architecte en prend un coup. Il est vrai qu’elle nous avait été décrite p 94 comme une femme persuadée de pouvoir, grâce à son travail, changer la vie des gens, alléger leurs souffrances et leur donner l’impression de faire partie de quelque chose de plus grand qu’eux-mêmes. Franchement, est-ce ironique ? Eh bien, je n’en sais rien car il ne me semble pas y avoir beaucoup d’humour dans ce texte… Donc faisons le point. CW a des problèmes. Mais comme CW n’est pas spécialement un personnage attachant, on peine à avoir la moindre empathie pour cette dame.
De la joie, de l’oxygène, de la vitalité… toujours pas. Et pas l’ombre d’un thriller (je n’ai jamais vu une intrigue aussi plate!)
Partie 3 : un long passage plus ou moins sociologique sur le fait qu’il est difficile de se loger à Montréal. CW et deux autres personnages (deux homos dont un noir, personnage pour lequel il a fallu avoir recours à un sensitivity reader pour être sûr de ne pas dire trop de conneries à son sujet) fument sur une espèce de rooftop en regardant le ciel. Puis, comme CW est dans la misère, elle marche dans les rues de Montréal au lieu de rentrer directement chez elle. Elle se dit dans une espèce de stream of consciousness que le monde est vraiment pourri. Elle repense à son enfance (elle était pauvre avant… ) (tiens, on l’attendait le coup de la transfuge de classe …) (elle est de gauche, hein, c’est quelqu’un de très bien... tout ce qu’elle fait de mal, ce n’est pas de sa faute hein...) et elle lit Proust (ça n’en fait pas un personnage plus profond pour autant mais bon…) et on arrive ENFIN à la scène finale (scène de réception pour l’équilibre de la construction narrative - je le précise au cas où...) archi-ridicule dans laquelle des manifestants rentrent chez l’archi pour tout péter mais cette dernière renvoie la police parce qu’elle comprend dans le fond les agissements de ces gens-là (elle est de gauche vous dis-je) (et tant pis pour le Bruegel qu’ils ont mis en pièces). Ces manifestants, on ne les a jamais entendus dans l’oeuvre qu’en bruit de fond, à l’exception d’une certaine Marion qui dans la scène finale participe à la soirée et trouve CW franchement très bien...
Moi à ce stade, j’ai perdu toute énergie, je suis épuisée par tout ce bavardage qui part dans tous les sens, j’ai l’impression d’avoir perdu mon temps en lisant le texte de quelqu’un qui tente de se faire passer pour le nouveau Proust, qui confond sociologie et littérature, qui surfe sur les thèmes à la mode en actionnant toutes les ficelles et dont les personnages manquent singulièrement d’âme. On lit ce texte froid et ennuyeux comme on feuillette un magazine people aux pages glacées. Et finalement, on ne sait pas quel est le sens de tout ce fatras…
Être un jeune auteur canadien dans l’air du temps et titulaire d’un doctorat de création littéraire qui fait la part belle aux minorités et aux femmes modernes qui en veulent. Peut-être est-ce là la clé de la réussite...
Allez, je vais citer un article de Marceau Cormerais dans Les Échos qui résume parfaitement ce que je pense : « Il s’agit d’un roman à la construction lourde dont la langue empruntée sonne faux et où les personnages réduits à la simple allégorie de leur ethnie ou de leur sexualité, voguent sur une intrigue sans force. »
Merci Monsieur, je me sens moins seule.
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