Chronique vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=9IvPgpd7WCc


C’est le premier de la sélection pour l’instant où j’éprouve un certain intérêt pour l’histoire, et où je me dis même le soir, « oh, je pourrais continuer à lire ». Mais c’est pas grâce à la langue, très simple, si simple que j’ai parfois un doute, une impression de ne pas savoir où je me trouve, presque à me demander si on se moque pas de moi, si on joue pas avec cette langue utilitaire, clichesque. Par exemple quand elle parle de la littérature de Béatrice Blandy, elle utilise les éléments de langage de nos boutiquiers préférés — roman puissant, force narrative, le roman de l’émancipation etc, etc..On pourrait presque finir les phrases de l’autrice, si jalousie il y a, il faut qu’elle soit maladive, les pensées sont sombres, concentration intense, faire table rase encore une fois, bref, vous avez compris.

Mais je ne suis pas sûre, bien que le côté conte pourrait aller dans ce sens — puisqu’il s’agit plus ou moins d’une relecture de Barbe bleue, la femme dans le placard étant le symbole des anciennes relations et du passif de chacun. En effet, l’héroïne, après avoir admiré pendant de longues années Béatrice Blandy (je ne sais pas pourquoi, j’imaginais Annie Ernaux, mais je pense me planter), elle arrive à se retrouver dans le lit de son époux à la mort de celle-ci. Et il y a une tension, une sorte de grip dès le départ qui la pousse à chercher à la fois un manuscrit caché, et sans doute plus de secrets autour du couple. Ce grip c’est un peu que le contrat avec le lecteur, le « willing suspension of disbelief » ou le concept de « suspension consentie de l’incrédulité » de Coleridge est souvent rompu. Le lecteur quand il commence un livre, accepte l’histoire qui se présente et suspend sa méfiance, c’est un contrat entre lui et l’auteur. Mais ici, il y a des petits coups de canifs dans le contrat. Par les dialogues qui sonnent toujours un peu à côté, comme si on voyait les ficelles des marionnettes. Mais aussi beaucoup de deus ex machina, comme quand un mot sur tableau dans la chambre lui ouvre un l’ordinateur de beatrice, où des romans de Sarraute l’aident à retrouver les carnets cachés de Béatrice — si bien encore qu’on a l’impression de ne pas être dans une histoire qui se joue sur le plan réaliste, tangible, mais plutôt, comme les contes, donc, sur celui du merveilleux, avec les objets adjuvants ou opposants, comme la clé dans barbe bleue, les bottes du chat botté. Même si la fin explique ces facilités au niveau de l’intrigue.

Et c’est donc sur cette question que j’oscille : est-ce que c’est fait exprès ? A chaque fois que je tombe sur une de ces faiblesses, j’en viens à me demander si ce n’est pas une force du texte, si tout cela n’est pas maîtrisé.

Pourtant, il y a par exemple des redondances, celle quand Elsa reprend le manuscrit de Béatrice, on nous dit « Chaque soir, Thomas la retrouvait plus sereine, plus rayonnante, comme si chaque mot, chaque chapitre la rendait plus forte, plus consistante [….]c’était elle qui se réinventait » et quelques pages plus loin, on martèle « ils la guidaient, opéraient en elle un lent travail de transformation. Elle prenait confiance, parlait d’une voix plus assurée, craignait moins le regard des autres comme si une force invisible la soutenait […) ». Le style dévitalisé, déminéralisé j’ai même envie de dire, n’est sans doute pas à escient non plus.

La fin est assez prévisible, convenue, même si le dernier chapitre est de mon point de vue réussi dans ce qu’il laisse dans l’ombre, le travail de suppositions qu’il offre au lecteur. De plus, on a l’impression qu’il termine une histoire sur une autre qui pourrait commencer — c’est pas banal et pourtant, encore une de ces impressions, un de ces « est-ce totalement foiré, ou est-ce que c’est fait exprès ? ». Ces questions qui restent en suspens, et pour lesquelles on se demande si c’est pas un oubli de l’autrice : la baignoire ensanglantée dans les textes de Blandy jamais explicitée, les révolvers, comme des fusils de Tchekhov jamais exploités (et encore une fois, le doute entre le foirage ou l’originalité intéressante). Vous l’avez compris, c’est un texte que je ne sais pas trop comment appréhender, j’ai l’impression d’être comme l’héroïne, qu’on se joue de moi, après tout, la narratrice mentionne les contes qu’elle lit à son fils, comme un clin d’œil — et donc comme si finalement, tout cela n’était rien d’autre qu’une histoire — et la littérature n’est qu’histoire après tout.

YasminaBehagle
5
Écrit par

Créée

le 17 sept. 2022

Critique lue 54 fois

YasminaBehagle

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