R.U.R
7.7
R.U.R

livre de Karel Čapek (1920)

Karel Čapek, écrivain tchèque du début du XXe siècle, signe avec cette pièce de théâtre une œuvre fondatrice de la mythologie moderne.

Comme beaucoup d'auteurs notre poète considérait la fiction comme vecteur de savoir et de discours à l'image des récits mythiques qui peuplent les imaginaires depuis l’aube des civilisations. En effet, il y voit le potentiel d’un outil critique ouvrant le champ à de nombreuses fantaisies philosophiques qui nous permettent de percevoir la réalité en des jours bien différents et parfois exagéré, mais toujours afin de pouvoir penser et appréhender un maximum de situations, même celles qui nous paraissent les plus rocambolesques et improbables.

On ressent cette volonté d’emprise sur le réel par la fiction dans le travail de K. Čapek notamment grâce au legs du mot qui a stimulé la culture populaire, mais qui a également intensément rythmé la recherche scientifique depuis plus d’un demi-siècle ; il s’agit évidement du terme “ROBOT”. Formidable néologisme dérivé du tchèque “robota”, signifiant “corvée” ou “travail forcé”. La sémantique de ce mot exprime directement et sans concession le propos qu’a voulu nous transmettre l'auteur ; l’histoire d'une humanité créatrice d’un être à son image, intelligent et capable d'accomplir efficacement les travaux les plus complexes, afin de le réduire en esclavage et ainsi de se libérer du labeur et d'utiliser l'intégralité de son temps à la culture de son esprit. Cet idéal oisif peut faire rêver, mais c'est en oubliant la condition à laquelle sont contraints ces êtres artificielles et en sous-estimant leur état de conscience. C'est justement ce qui terrifie Hélène, fille d'un homme politique puissant en visite dans les usines de l'entreprise R.U.R. ; elle est la seule protagoniste à considérer ces créatures artificiels comme des êtres et non comme des pantin non-individués.

Ce texte à l'allure résolument moderne, peut être qualifié de visionnaire puisqu'il aborde le débordement massif de la technologie sur tous les champs sociaux et la recherche scientifique qui fait fis des questions d'éthique. Et pourtant les mécaniques narratives et le sujet ne sont pas autant révolutionnaires qu'il n'y paraît, puisque K. Čapek réactualise dans son œuvre un mythe particulièrement vivant dans la tradition juive : celui du Golem. Cet humanoïde de glaise animé grâce à la force des écrits sacré par un rabbin pragois afin de protéger la communauté persécutée. Jouissant de ce nouveau protecteur, elle va l'exploiter au delà d'une limite raisonnable, cependant sa ressemblance n'est pas seulement physique, elle est aussi intellectuel, ce qui lui permet de prendre conscience de l'injustice et de réclamer auprès de son créateur la reconnaissance de son humanité. Cette demande terrifie le rabbin Loew ; car si Dieu a créé l'humanité à son image, Il vit dans un espace autre et n'est en aucun cas menacé par notre orgueil ; ce qui n'est pas le cas du Golem qui lui réside à nos coté. La peur d'être surpassé par sa création le hante à tel point qu'il décide finalement de la détruire.

Ce mythe a connu une mobilisation forte dans la littérature populaire du XIXe siècle (avec, par exemple, Frankenstein de Mary Shelley où L'Ève future de Villiers de l'Isle-Adam), et K. Čapek le sais. Cependant il apporte une nouvelle dimension dans sa pièce, celle de la production industrielle. En effet jusque là, ces récits utilisait l'image du savant retranché dans son domaine pour mener à bien ses expériences. Ici, les androïdes monstrueux ont massivement envahi les espaces de notre vie ; ils sont d'ailleurs tellement présents et nombreux que contrairement aux précédentes réactualisations du Golem et au mythe lui-même, ce n'est pas la créature qui est détruite, mais le créateur. Les robots étant las de leur soumission injuste à une humanité paresseuse, et souhaitant atteindre le statut d'être conscient, décident de la détruire pour mieux lui ressembler : “Il faut régner et tuer pour être comme les hommes. Lisez l’histoire ! Lisez les livres des hommes” s'écrie Damon le chef des robots.

Finalement le Golem de K. Čapek n'exprime pas le danger de la concomitance de la créature et de son créateur divin dans un même espace (comme ce fut le cas dans le mythe originel), mais il se sert du robot pour exprimer le miroir d'une humanité qui à perdu son âme dans des idéologies destructrices, dans des intérêts marchands et dans des programmes scientifiques nihilistes et insoucieux de la dignité des individus. Son histoire prend sens également lorsque l'on sait qu'il l'a écrit durant l'entre deux guerres, période qui n'a fait qu'accélérer ce processus destructeur.

Je pense qu'il faut bien garder en tête à la fin de cette lecture que le progrès technologique devrait être un moyen d'individuation parmi d'autre disciplines humaines et non une fin visée par l'entièreté d'une société, comme malheureusement nous le vivons aujourd'hui.
Lozimak_Kiid
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Créée

le 31 oct. 2014

Modifiée

le 20 nov. 2014

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