Sôseki n'est pas seulement doué pour son style fluide et l'impressionnante acuité psychologique dont il sait faire preuve, il rayonne aussi dans l'analyse sociale et politique. La lecture de Rafales d'automne est sur ce point exemplaire.
La société civilisée est un champ de bataille où l'on ne voit pas le sang couler. Vous devez vous préparer à faire face. Vous devez vous préparer à tomber. Ceux qui restent debout dans la rue de la vie avec pour seul but la réussite sont tous des escrocs.
Trois archétypes se font face et se répondent tour à tour dans ce roman. Un professeur tout d'abord, plusieurs fois renvoyé de classe pour son originalité, qui se décide enfin à écrire pour faire reconnaître sa voix, et deux étudiants fraîchement sortis de l'université : l'un plein de contentement et d'espoir devant la tache à accomplir, l'autre rongé par son cynisme et par les affres de sa névrose. Des dialogues d'une précision sans faille couplés à une réflexion intérieure profonde sur les mouvements de l'âme et de l'esprit des personnages forment le cœur du livre. Mais la clef de voûte, ce qui forme la structure dans laquelle évolue les trois personnages c'est la période de bouleversement que fut l'ère Meiji (1868-1912) au Japon. L'ouverture des frontières créa un choc sans précédent entre l'ancienne société et la nouvelle distillée par le capitalisme industriel qui s'installa dans le pays. À cet égard les trois protagonistes sont trois hommes échoués dans leur temps. Ils apportent tous les trois une réponse différente au monde par leur présence, le développement (ou non) de leur personne, leur positionnement social, leurs attachements variés aux êtres et aux objets. Leur unicité se créée dans l'écriture à laquelle ils aspirent.
La douce ironie mélancolique qui baigne la lecture, qui habite Sosêki, se déploie dans un mouvement différent de son Je suis un chat. Peut-être ici se voit-elle recouverte d'un voile plus sérieux, plus grave aussi. Non pas que l'humour soit absent du développement, car à la manière du professeur Dôya dans sa dernière diatribe, Sôseki sait varier à la perfection le sérieux et l'humour en faisant chanter la langue japonaise. Ce regard observateur qu'il pose avec grâce sur les hommes et les choses interpelle... il est la marque de celui qui ne recule pas devant les basculements de ses pensées et de ses sentiments. Sinon comment pourrait-il si bien décrire notre humanité dans ses moindres aspects ?
Refermant l'opus on est comme prit dans le tourbillon d'une interrogation : depuis quand n'avions-nous pas senti une telle élévation à la fermeture d'un livre ?