Comme l'indique sa quatrième de couverture, Raisons obscures traite des secrets familiaux, des faux semblants. Mais surtout, le roman traite de harcèlement scolaire.
Dans la première partie, le lecteur suit d'abord les parents de deux familles différentes. La première famille vient de déménager pour retrouver la ville d'enfance de la mère Laetitia, puis le couple connait des difficultés quand elle retombe sur son amour de jeunesse. Premier secret. Dans la seconde famille, le père Frédéric est relégué dans une voie de garage au travail, lui qui était DRH depuis sept ans, mais s'en sent honteux et n'ose pas l'avouer à sa femme - deuxième secret - tandis que Claire lance son activité indépendante en travaillant de chez elle, à subir les aboiements du chien du voisin toute la journée - troisième lourd secret. Dans la seconde partie, on suit ce qui pourrait plus ou moins correspondre aux journaux intimes de deux des enfants de chaque famille. Et la descente aux enfers commence - quatrième secret.
La première moitié n'a finalement pas grand intérêt. Les deux couples vivent des quotidiens on ne peut plus banals, avec leurs difficultés et leurs joies. A défaut d'enjeu digne de ce nom, on reste sur sa faim. Pire : c'est un peu ennuyeux. A cet ennui s'ajoute une écriture oubliable, une narration indirecte à la troisième personne qui veut se faire au présent mais s'emmêle les pinceaux dans les flashbacks à tel point que les temps n'ont plus aucun sens. C'en est parfois pénible à lire.
Mais cette première partie n'existe en réalité que pour valoriser la deuxième. L'autrice ne s'en cache d'ailleurs pas, puisqu'elle déclare vouloir mettre le lecteur dans la situation des parents qui font de leur mieux avec leurs enfants tout en ayant leurs propres soucis et ne se rendent compte de rien. La preuve : le lecteur a beau avoir lu toute l'histoire des parents, peut-il affirmer connaître l'enfant qui a subi le harcèlement scolaire ? Et si le lecteur n'a lui non plus rien vu venir, peut-il rejeter la faute sur les parents ?
Il serait malhonnête de prétendre que la cible est totalement ratée. Mais nous sommes tout de même loin de taper dans le mille. Car si on peut admettre sans sourciller que les parents sont passés à côté des indices, si on peut les comprendre, on ne peut pas du tout prétendre que le lecteur se trouve dans la même situation qu'eux : il nous manque plein d'informations auxquelles les parents ont, eux, pu avoir accès, quand bien même ils n'y auraient pas fait très attention. Le choix même de la narration et des informations que le narrateur accepte de nous glisser biaisent notre rapport aux enfants. Il ne serait dès lors pas étonnant que certains lecteurs se sentent lésés et trouvent quand même que les parents n'ont pas été très dégourdis. La question qui reste au final est : au vu de l'intérêt intrinsèque, était-il nécessaire de se farcir l'histoire des parents de façon aussi développée (elle prend la moitié du livre) juste pour avoir leurs points de vue ? Peut-être cette première partie aurait-elle simplement mérité d'être moins longue ?
En revanche, la deuxième partie est beaucoup plus intéressante, haletante. La relation harceleur/harcelé se met en place, on voit les rouages s'activer mutuellement, d'abord petits, puis bientôt tellement gros qu'il semble impossible d'en sortir. Le mécanisme du harcèlement scolaire et la culpabilité de la victime sont mis en exergue avec brio.
Deux bémols viennent cependant noircir le tableau. Premièrement, l'autrice ne semble pas vraiment au courant des habitudes des adolescents sur les réseaux sociaux, puisqu'elle ne parle que de Facebook (plutôt délaissé à cet âge), Messenger et YouTube. Aucune mention d'Instagram, Snapchat, Tiktok... Ce qui aurait pourtant été intéressant pour creuser les dynamiques de harcèlement propres à ces réseaux. Deuxièmement, le final paraît un peu gros, surtout dans le chef du bourreau.
Les personnages sont quant à eux pour la plupart des stéréotypes unidimensionnels. Tant les parents que les enfants se trouvent réduits à une personnalité sans relief, déterminés dès la première page à agir d'une seule façon extrêmement prévisible, et régulièrement exaspérante. Seule la différence entre la façon dont la victime du harcèlement est vue par ses parents et ce qu'elle vit effectivement permet de lui accorder un relief un peu plus vallonné.
Je ressors donc avec une grosse déception de ces Raisons obscures, alors que l'autrice Amélie Antoine m'avait fait forte impression dans l'interview que j'avais entendue. Dommage.