Timothée Parrique, Ralentir ou périr. L’économie de la décroissance, Seuil, 2022.

Timothée Parrique est un économiste et chercheur à la School of Economics and Management de Lund en Suède. Il est l’auteur d’une thèse intitulée « Political Economy of Degrowth » (2019), qui explore les différentes implications de la décroissance. Son livre, Ralentir ou périr, se présente comme une adaptation grand public de sa thèse de doctorat.

Le point de départ de l’ouvrage est d’abolir le mythe selon lequel l’effondrement des écosystèmes que nous vivons actuellement serait la faute de l’espèce humaine dans son ensemble. Cette nouvelle ère géologique nommée « Anthropocène » aurait commencé à partir du moment où l’influence de l’espèce humaine sur les écosystèmes serait devenue significative. Mais Timothée Parrique propose la thèse suivante : le problème vient plutôt d’un système économique en particulier : le capitalisme (et la poursuite effrénée de la croissance qui va avec), ainsi il nous enjoint à utiliser plutôt le terme de « Capitalocène ». Suivant ces prémices, l’auteur va s’employer, dans les quelques 300 pages que composent l’ouvrage, à montrer les limites du modèle actuel basé sur la croissance (1), pour ensuite nous montrer le chemin à suivre : la décroissance (2) ; et enfin dessiner les contours d’une société alternative plus profitable pour l’ensemble du vivant : une société stationnaire « post-croissance » (3).

L’idée principale qui revient tout au long du livre est celle de la satiété. En effet, Parrique est critique vis-à-vis du terme de « sobriété » qui expose d’ailleurs le mouvement de la décroissance à une disqualification (notamment de la part des médias et des politiques) car il conduirait à « se priver », à « un renoncement ». Il propose alors de revenir au terme anglais de « sufficiency » pour le traduire littéralement : la société vers laquelle nous devons tendre est une économie de suffisance. C’est d’ailleurs le sens premier de l’économie anthropologique, telle qu’il l’a défini en introduction de la partie une : « l’organisation collective du contentement » de ses membres. (p.20) La plupart de nos besoins atteignent un stade de satiété assez rapide, qu’ils soient matériels (e.g. la nourriture), ou immatériels (e.g. un cercle social épanouissant) ; et leur satisfaction revêt une dimension bien souvent collective (protection, participation, affection, loisir, …)

Avant d’attaquer la critique du modèle « croissantiste » dans son ensemble, l’auteur commence par revenir sur son indicateur phare : le PIB. Ainsi on comprend bien que l’utilisation de cet indicateur revient à un choix méthodologique sur les éléments que l’on veut compter ou non comme faisant partie de la sphère de l’économie marchande. Et donc in fine qui a de la valeur pour notre économie. « Un poisson qui existait avant d’être péché » (p.33) ne sera valorisé dans notre économie qu’au moment où il fera l’objet d’une vente et sera donc intégré à la sphère de la production marchande.

Ainsi, les biens et les services ne sont compris que sous le prisme de leur valeur d’échange. Mais comme nous l’avons vu plus haut, un type de société désirable trouverait plus utile d’avoir une information sur le niveau de satiété de ses membres, obtenus via la valeur d’usage.

Les chapitres suivants viennent montrer l’impossibilité même du concept de croissance verte et les limites sociales et politique de la croissance. En effet concernant la croissance verte, cette dernière se base sur le postulat d’atteindre un jour un découplage entre la charge écologique et la croissance du PIB ; or pour des raisons psycho-sociologiques et thermodynamiques largement étudiées (Effet rebond, dépendance au sentier, …) cela est rigoureusement impossible. À commencer par la première : la production d’Energie requiert l’utilisation de matériaux présents en quantité limitée sur Terre (pétrole ou gaz pour le fossile ou bien minerai pour construire les dispositifs de captation des « renouvelables »), ainsi le taux de retour énergétique est condamné à baisser et la dépense énergétique à grimper.

Au-delà des théories économiques, l’ouvrage mobilise des données empiriques concrètes pour appuyer la faisabilité du modèle alternatif que propose l’auteur : Si l’on compare une somme théorique des paniers de biens des Français face au Revenu National Brut (RNB) actuel, ce dernier était 44% supérieur en 2021, preuve encore une fois que la richesse est suffisante pour permettre à tout le monde de vivre correctement, elle est seulement mal répartie.

Parrique nous livre ensuite une histoire de la décroissance, depuis les travaux de Nicolas Georgescu Roegen sur la thermodynamique en 1971, en passant par le rapport Meadows en 1972, les travaux précurseurs de Serge Latouche sur la critique de l’imaginaire de la croissance. L’économie-écologie d’Herman Daly, « l’écodéveloppement » en 1975 qui va poser les premiers contours du concept. Ainsi on comprend bien que le mouvement est très vaste, et possède une longue histoire, les auteurs de la décroissance sont nombreux et officient depuis longtemps ; le terme viendrait d’un article de Serge Latouche en 2002, mais encore une fois toute sa substance était bien là depuis des années.

L’apport de Timothée Parrique semble être de tenter de mettre un peu d’ordre dans ce vaste appareil conceptuel. Effectivement, l’auteur donne ici une direction à ce mouvement et une articulation à ces deux termes qui avaient tendance à être pris pour synonyme : la décroissance est le chemin, la post croissance est le but. Un état stationnaire mais différent d’une récession car cet état serait permis par l’allocation des gains de productivité pour la réduction du temps de travail et la baisse de la pénibilité et non pour la croissance et la production.

Enfin on termine par une partie primordiale quant à l’organisation et au mode de décision / administration d’une telle société idéale. L’auteur va chercher du côté des travaux de Murray Bookchin et du municipalisme libertaire, des expérimentations montréalaises au niveau du voisinage avec les tables de quartier, ou des « budgets participatifs » pour l’échelle communale en se basant sur l’expérience de Porto Alegre dans les années 80. De la nécessité de développer de nouveaux indicateurs de richesses qui mesurent le bien être, à présent que l’on ne cherche plus à mesurer la croissance.

Enfin un dernier chapitre est consacré aux critiques les plus récurrentes sur le mouvement décroissant, telle qu’on peut les entendre dans les médias dominants, prononcés par des politiques et des éditorialistes. Ainsi chacune des sous parties commence par un poncif que l’auteur vient déconstruire, même si à ce stade, le lecteur attentif est déjà armé pour y répondre par lui-même avec tous les arguments acquis dans les parties précédentes ! Par exemple « Pour Bruno Lemaire la logique est implacable, si vous avez de la décroissance, vous aurez moins de richesses, et vous aurez plus de pauvres » (p. 249) On a d’ailleurs déjà vu la réponse à cette controverse plus haut : on produit 44% de richesses en excédant chaque année, donc on pourrait très bien décroitre de ce même montant « si nous partagions les richesses que nous avons déjà » (p. 250).

Malgré tout, on peut être amené à regretter l’absence d’une critique radicale de la civilisation industrielle dans l’ouvrage. Bien sûr, le solutionnisme technologique et le mythe de la croissance verte y sont largement enterrés. Mais il semble malgré tout manquer une critique de la technologie en tant que catalyseur du système capitaliste et incompatible avec l’avènement de la démocratie nécessaire à l’émergence de sociétés décroissancistes. Parrique propose de réduire nos trajets en avion, mais cela pourrait se révéler vain, tant : « la suite d’opérations qu’implique, par exemple, la fabrication d’un avion est si complexe qu’elle suppose nécessairement une société planifiée et centralisée, avec tout l’appareil répressif qui l’accompagne. » La détechnologisation des sociétés humaines semblent être alors un pré-requis, tant la technologie porte en elle l’autoritarisme du capitalisme, pour reprendre le terme de Lewis Mumford (« technique autoritaire »).

Ainsi, Timothée Parrique oppose une décroissance planifiée (degrowth by design) à une décroissance collapsologiste/effondriste (degrowth by disaster) à laquelle nous alerte Pablo Servigne.

Pourtant, pour une branche plus radicale et anticapitaliste de la décroissance, cette dernière sera anarchique ou ne sera pas. Le co-créateur du concept de permaculture, David Holmgren disait en 2013 « la seule issue pour éviter de trop graves dommages sur la biosphère serait désormais de provoquer un effondrement rapide et radical du système économique global » . De même pour Theodore Kaczynski, afin d’obtenir une quelconque victoire contre le système il faut aller contre ses règles et ses valeurs « il faut s’en prendre à toute la production d’énergie électrique […], pour cela même que la dépendance à l’électricité rend les gens dépendants du système ».

A côté, Parrique semble proposer une version soft de la décroissance, passant par un rétrécissement de l’économie « Nous produirions à peu près les mêmes choses qu’aujourd’hui, mais les fréquences et les volumes de production seraient moindres » (P.190). Quelques arrangements semblent pouvoir être également fait avec le système actuel, de sorte à proposer une sorte d’alter capitalisme plus que d’anticapitalisme. Ainsi l’auteur propose par exemple une « taxe carbone avec mécanisme redistributif » (p. 209), ou encore des « quotas d’énergies échangeables » (p. 210). On peut alors supposer que ce positionnement alternatif revêt une fonction stratégique, afin de ne pas s’aliéner immédiatement une grande partie de la population via une proposition trop radicale.

Kiu_kiu
9
Écrit par

Créée

le 27 oct. 2023

Critique lue 144 fois

Coco l'asticot

Écrit par

Critique lue 144 fois

D'autres avis sur Ralentir ou périr

Ralentir ou périr
yond4im
9

MasterPiece

Un plaisir d’avoir lu Timothée ! Une vraie figure des sujets utiles en économie écologique et surtout sciences du vivant.Quelques éléments importants à retenirContraire de la croissance :...

le 15 juil. 2023

2

Ralentir ou périr
Kiu_kiu
9

Note de Lecture : Ralentir ou Périr

Timothée Parrique, Ralentir ou périr. L’économie de la décroissance, Seuil, 2022.Timothée Parrique est un économiste et chercheur à la School of Economics and Management de Lund en Suède. Il est...

le 27 oct. 2023

Du même critique

Toradora!
Kiu_kiu
4

Nuisance / 20

Toradora fait parti de ces animes que j'associe à la période du collège/lycée. Ils font partis d'un package "introduction aux animes" avec des trucs du genre Mirai Nikki, Elfen Lied et Another (si...

le 10 déc. 2022

2 j'aime

Le Garçon et le Héron
Kiu_kiu
7

Et vous, comment vivrez-vous ?

A la sortie du film au Japon, aucune promo n'a été faite, une simple affiche crayonnée, accompagnée de ce titre "Kimi-tachi wa dō ikiru ka (Et vous, comment vivrez-vous ?"). Les spectateurs japonais...

le 12 nov. 2023

1 j'aime