« Ainsi Raspoutine pour sa mort passa par tous les éléments : l’eau, la terre, le feu et l’air »

Lorsqu’on aime et lit autant de biographies que moi, il est toujours très agréable de comprendre, au cours de la lecture, que nous sommes en train de lire l’œuvre définitive sur son sujet, l’ouvrage qui ne peut pas aller plus profondément dans la vérité et l’analyse des événements. Généralement, lorsque cela arrive, je me fais cette réflexion au bout de la 50eme page. « Raspoutine, l’ultime vérité », lui, ce fut dans les 10 premières pages. Historien, dramaturge, présentateur de télé russe à ses heures perdues, Edvard Radzinsky livre un travail de Titan, et veut nous le faire comprendre dès le début, en admettant avoir eu accès à des documents qu’aucun autre biographe n’avait pu approcher avant lui. Des compte-rendu jusqu’ici secrets de la police impériale, le Dossier de la Commission Extraordinaire (qu’il cite à chaque fois qu’il en a eu recours, juste en le précédant d’un « Le Dossier : »), les lettres de la Tsarine et de ses proches, les témoignages des ennemis comme des amis du Moujik klyhsty… C’est du travail de fourmi ingénieure. La plus belle preuve de ce travail de recherche remarquable : il cite très peu les propos autobiographiques de Raspoutine dans son propre ouvrage, « Mémoires d’un pèlerin ». Cependant, le livre n’est jamais pompeux ou pesant dans sa rédaction. Radzinsky a une plume très agréable, décrivant l’ascension et la chute de Raspoutine de la même manière, c’est-à-dire avec fatalité, comme si un tel personnage devait arriver et détruire la dynastie Romanov, et que ce temps fut arrivé à partir du jour où il a sauvé l’Héritier.
Je dois plusieurs choses à ce livre remarquable (pas facile à lire tous les jours, mais tout simplement passionnant de la première à la dernière page). Celui d’expliquer la plupart des légendes entourant Raspoutine, sur lesquelles les gens ne prennent pas assez de recul, car l’assimilant involontairement à un réel Magicien martyr. Hormis ses dons de guérisseur, qui resteront à jamais un mystère (surtout l’épisode du sauvetage à distance juste par des prières…), tout est remis en cause et décortiqué. L’assassinat de Raspoutine notamment. Il raconte dans un chapitre entier le déroulé officiel, avant de tout remanier dans un autre chapitre avec des arguments de taille : par exemple, le Moujik ne pouvait pas avoir été tenté d’être empoisonné avec des gâteaux, Raspoutine haïssant les sucreries, ce qui a été confirmé par ses admiratrices et sa propre fille aînée (oui il a été père, c’est un truc de fou). Même le réel meurtrier ne serait pas celui que l’Histoire a reconnu comme tel… Et, là aussi, l’intelligence de Radzinky revient à avoir toujours contextualisé et raconté tous les personnages, pas seulement les principaux protagonistes. Je le remercie alors de m’avoir appris l’existence de certains rites religieux extrêmes, qui ont fait basculer indirectement les Tsars de Russe, et rappelé le poids de l’obscurantisme croyant lorsqu’il se regarde sans recul. Je le remercie, bien sûr, de m’avoir raconté une histoire palpitante, où j’ai appris énormément de choses, et m’a fait rager qu’il n’existe pas un film unanimement salué sur cette histoire proprement hallucinante (on parle quand même d’un Moujik illettré Sibérien qui remanie carrément à lui seul le Gouvernement Russe, pendant que le Tsar s’improvise Général des Armées en pleine Première Guerre Mondiale, tous deux sous l’impulsion d’une Tsarine hyper-autoritaire et impopulaire !). Ce que j’ai particulièrement apprécié aussi, c’est que Radzinky raconte également la destinée des personnages, même les plus secondaires, après la chute des Tsars. Je l’ai pris comme un Bonus, un epilogue digne de ce nom et ce n’est pas si régulier. Cela témoigne d’un attachement inattendu de l’auteur pour tous ces personnages damnés jusqu’à la moelle. Notamment l’ex-Ministre, proche de Raspoutine, qui s'est fait tuer par les Bolcheviks juste avant de passer la frontière pour quitter la Russie, car reconnu par une ancienne amante l’ayant appelé par son nom, alors qu’il avait réussi à duper son identité : rien que cette anecdote me semble prompt à une séquence de film. Certains destins touchent par leur radicalité, comme celui de Vyroubova, l’Amie de la Tsarine : entre son mariage totalement fonctionnel, destiné à la garder à bonne distance de son amie, et sa fin de vie en exil en Irlande, où elle est morte dans la solitude absolue, elle n’a littéralement vécu que pour la Tsarine.
En empruntant ce livre, j’ai voulu en savoir plus sur Raspoutine, un personnage qui me fascinait et sur lequel, j’en étais déjà conscient, j’avais beaucoup de préjugés ; j’ai non seulement découvert le réel Raspoutine, mais également toute une époque, toute une histoire politique fulgurante, toute une tragédie poignante, toute une Russie hyper contradictoire entre sa campagne et ses villes. Et c’est mon dernier remerciement au livre : tout bêtement, il m’a donné envie de découvrir la Russie. En été parce que frileux, mais quand même très intéressé par la culture Russe, auquel cet ouvrage m’a ouvert. Procurez-vous ce roman basé sur des faits réels, ce thriller politique, cette romance passionnelle, cette tragédie Grecque en pleine Russie poignardée, et également une comédie de boulevard sur certains aspects. Après l’avoir fini, vous écouterez la chanson de Boney M autrement (et la chanson de Bébé Lilly aussi, mais ça vous l’avez écouté autrement même sans connaitre son histoire...). Edvard Radzinsky : retenez ce nom difficile à retenir.

Billy98
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 15 avr. 2020

Critique lue 209 fois

6 j'aime

2 commentaires

Billy98

Écrit par

Critique lue 209 fois

6
2

Du même critique

Il était une fois dans l'Ouest
Billy98
10

MA BIBLE

Mon film préféré. La plus grosse claque artistique de ma vie. Une influence dans ma vie. Un éternel compagnon de route. Le cinéma à l'état pur et au summum. Oui, vraiment ma Bible à moi. Je connais...

le 21 juin 2016

29 j'aime

12

Lulu
Billy98
10

Jamais été aussi désespéré, et jamais été aussi beau (attention: pavé)

Le Manifeste... Projet débuté par un court-métrage majestueux, accentué de poèmes en prose envoyés par satellite, entretenant le mystère, son but semble vraiment de dire: prenons notre temps pour...

le 15 mars 2017

27 j'aime

10

The Voice : La Plus Belle Voix
Billy98
2

Le mensonge

Je ne reproche pas à cette émission d'être une grosse production TF1. Après tout, les paillettes attirent les audiences, et plus les audiences augmentent plus les attentes montent, c'est normal. Je...

le 17 févr. 2018

20 j'aime

7