J'ai découvert l'année passée Daphné du Maurier avec "Le Bouc-émissaire" qui m'a été offert. J'ai tout de suite accroché à cette écriture riche et fluide, au style intemporel, servant des histoires originales et surprenantes, brassant des personnages complexes. J'ai donc souhaité poursuivre avec cette auteure. Le fameux "Rebecca" s'imposait en deuxième lecture. A la médiathèque, je le trouvais en audiolib. J'avais déjà écouté des Nouvelles de Carver et de Tesson en audio mais jamais de roman. Je me disais que je me lasserais d'une écoute de 15 ou 20h. Mais ce fut une véritable révélation.
Ecouter l'histoire, ce n'est pas "moins" (moins quoi, d'ailleurs ?) comme on l'entend dire. L'écoute demande une disponibilité d'esprit, une concentration forte pour s'immerger dans l'intrigue, s'imprégner des mots, mesurer le style. La voix ici remarquablement bien choisie de Virginie Méry donne vie à ce roman époustouflant, à la narratrice, cette jeune héroïne dont on ne saura jamais le prénom.
Quant au fond, fine psychologue, Daphné du Maurier conte une histoire d'une modernité incroyable, aux personnages torturés, où la Nature s'impose à chaque chapitre, tantôt alliée, tantôt pire adversaire des Hommes. Dans "Le bouc-émissaire", les descriptions riches, grouillantes de détails rendaient le domaine et ses alentours presque vivants. Cette technique est exploitée dans "Rebecca" et fait de Manderley, un personnage à lui tout seul. Par exemple, la description de l'allée principale, le jour où la jeune narratrice arrive en voiture à Manderley, met d'emblée le lecteur mal à l'aise (tout comme l'héroïne) et annonce la couleur du roman (noire). On est subjugué par la beauté des lieux mais effrayé par la grandeur des arbres, la couleur (rouge-sang) des massifs de fleurs, la longueur interminable de l'allée, l'étouffante végétation qui se dresse devant les yeux de la jeune femme...et les nôtres. Manderley, personnage majestueux, grandiose, envahissant et fantomatique dans le brouillard anglais, à l'image de l'impitoyable Rebecca.
L'auteure explore la relation terrible entre l'héroïne et Rebecca, décédée, dont la personnalité hante les lieux et manipule encore les protagonistes et plus largement, tous ceux qui ont eu l'occasion de l'approcher.
Elle rend compte de l'abominable relation qui unit une personnalité narcissique (Rebecca) à sa victime, jeune et inexpérimentée ici, dont le manque de confiance ne fera qu'alimenter l'emprise de l'ancienne maîtresse de maison.
Les doutes et les projections, exprimés massivement par la narratrice, témoignent de son effroyable admiration pour la défunte, admiration qui l'empoisonne, dévore son énergie, et grignote petit à petit la relation conjugale fraîche qu'elle entretient avec Maxime de Winter. C'est ce mélange d'admiration et de peur qui dérange jusqu'à l'aveu de Max, le lecteur tout comme la narratrice.
On peut qualifier "Rebecca" de polar ou de thriller psychologique, peu importe, l'écriture de Daphné du Maurier nous emporte dans une histoire palpitante qu'il est difficile de lâcher avant d'en connaître le dénouement, inattendu. Je le recommande dans cette version audio, avec l'extraordinaire prestation de Virginie Méry.