Défaire la démocratie

Dans un avant-propos assez long, l'auteur indique avec force précautions oratoires que son essai ne consiste pas à faire - comme cela est le cas dans d'autres ouvrages - un parallèle entre les années 30 du 20ième siècle et les années actuelles. Ce qui s'avère par la suite absolument véridique : le corps du bouquin est consacré à l'actualité politique en France au cours de l'année 1938, vue sous le prisme de la presse écrite de l'époque.

Pour faire cela, Foessel s'est abonné à un site spécialisé, en l'occurence Rétronews, et à compulsé la presse française de 1938, sur un spectre politique le plus large qui soit, allant de l'Humanité jusqu'à Gringoire et Je suis partout (dont j'ai appris à l'occasion que la parution n'avait pas attendu les années d'occupation). En passant évidemment par les journaux dits modérés, de centre-gauche comme de droite. Des titres (exception faite du Figaro et bien sûr de l'Huma) aujourd'hui disparus.

Pour autant, la question des ressemblances entre les deux époques est sous-jacente, voire un peu plus si l'on considère le titre de l'ouvrage, Récidive. Simplement, l'auteur va laisser le lecteur se faire sa propre opinion, car il n'évoquera plus jamais l'époque actuelle jusqu'à l'épilogue du bouquin, dont la rédaction a été terminée en 2019. Cela prend ainsi la forme d'une dénonciation indirecte du recul démocratique que l'on observe actuellement dans notre pays, et dont on sait de quoi il a été suivi en 1938.

Car, pour qui veut bien lire entre les lignes (ce qui, je l'admets sans rechigner, fut mon cas) les analogies sont multiples et frappantes : recul des droits sociaux (conquis à l'époque avec le front populaire), exaltation de la valeur travail en vue de redresser le pays, mesures économiques favorables au capital et défavorables au travail, répression des mouvements sociaux (la CGT est encore puissante en 1938 et n'hésite pas à appeler à la grève générale), autoritarisme et lois liberticides (que Vichy n'aura qu'à appliquer telles quelles), complaisance envers l'Allemagne (accords de Munich actant l'annexion des sudètes par l'Allemagne) et défiance envers la Russie (l'URSS en 1938), remise en cause du droit d'asile accompagnée de discours hypocrites sur le pays des droits de l'homme, stigmatisation d'un communauté particulière et refus d'accueil des réfugiés issue de celle-ci et fuyant les persécutions dans leurs pays, limitation du rôle du parlement et vote des pleins pouvoirs à un seul homme. Bref, une véritable mise en oeuvre des idées les plus réactionnaires qui soient, le tout soutenu par des discours indiquant qu'il s'agit en fait de lutter contre l'extrême-droite.

Tout ça étant à mettre au crédit d'un "centriste", en l'occurrence Edouard Daladier, initialement allié au front populaire, mais qu'il a lâché lorsque l'opportunité de prendre de le pouvoir s'est présentée. Devant une telle énumération de coïncidences, il est difficile pour le lecteur de ne pas faire un parallèle avec l'actuel occupant de l'Elysée, et, convenons-en, c'est bien le propos de l'auteur d'amener le lecteur à faire ce parallèle.

Voilà, il s'agit d'un petit essai, court (160 pages), bien écrit et dont le mérite principal est de s'appuyer sur des faits précis pour étayer la thèse défendue par l'auteur.