Patrice Jean, professeur de Lettres et auteur de romans satiriques à la fois désabusés et amusés sur notre époque, nous dépeint un concentré de dérives progressistes et bien-pensantes au sein de l’Education nationale.
La naïveté étonnante de ceux qui veulent « sauver le monde » empreinte d’un profond narcissisme de se sentir appartenir au camp du Bien est incarnée par un jeune professeur de Lettres persuadé que le savoir est élitiste et que l’école doit avant tout faire acquérir des savoir-être et des savoirs-faire. Encouragé dans ce sens et valorisé par une institution affirmant qu’il faut amuser les élèves, se mettre à leur niveau et surtout ne pas croire que « la littérature est plus importante que d’autres formes artistiques, comme le rap, les slogans publicitaires, les tweets, le slam, les tracts, les tags, le hip-hop, l’improvisation théâtrale, le mime, les cracheurs de feu, la coiffure, la mode, le piercing, tout ce qui enrichit l’existence ; la vie est une fête ! » ( paroles d’un inspecteur plus vrai que nature), le personnage est partant pour toutes les innovations, à la pointe de la pédagogie qui n’a que le tort d’oublier le contenu de ce qui est enseigné ( inutile, bien sûr, les « temps changent » !). Lui-même est le produit de cet enseignement et ne lit plus depuis longtemps que des ouvrages à la pointe de l’innovation pédagogique – il voue un culte à Méirieu…- dédaignant ces tristes représentants d’une culture dépassée que sont Proust ou Céline, si ennuyeux à côté de la modernité d’ouvrages didactiques écrits pour être compris par le plus grand nombre.
Haïssant l’élitisme et déplorant qu’il y ait encore d’immondes réactionnaires pour vouloir transmettre un savoir auquel personne ne croit plus ( on trouve tout sur Internet !), le petit groupe de professeurs progressistes qu’il se hâte de suivre va connaître le sort de tous les donneurs de leçons idéologisés : à l’occasion d’un projet de vente d’une statuette de l’art Kmer appartenant à l’école, vente destinée à créer un atelier citoyen, les chevaliers du Bien se retrouveront parfois dans le parti haï des fachos qui osent préférer un art dépassé à la modernité. Ils n’ont jamais appris que le Bien est vite réversible.
Il y a certes des facilités dans ce roman écrit me semble t’il un peu rapidement comme l’utilisation d’une nouvelle pilule, l’Ethico 3000, destinée à remettre sur le droit chemin les âmes égarées. Mais Patrice Jean brosse comme à son habitude avec netteté une société en perte de vitesse où les esprits en déroute n’ont plus de sens commun. Il arrive à montrer les rouages d’une désinstruction nationale qui oublie l’essentiel : les élèves - même s’ils servent souvent de prétexte aux délires des adultes. Manipulés, ayant face à eux des adultes qui se mettent à leur niveau et qui démissionnent devant toute forme d’autorité, acteurs de leur savoir pourtant encore et pour longtemps inexistant, ils sont les grands perdants de ce jeu de dupes enrobé dans le beau jargon du pédagogisme et sont singulièrement absents de l'univers des profs de ce roman.
Patrice Jean arrive à faire sourire sur un drame pourtant bien réel qui se joue en ce moment dans la plus grande indifférence, les parents ayant depuis longtemps abdiqué eux-mêmes toute éducation morale (quel gros mot réac !)
Je termine ce roman que d’aucuns pourraient trouver dystopique au moment où j’apprends qu’on a de plus en plus recours en classe à des vélos elliptiques, pendant les cours de français, de mathématiques, d’histoire : les élèves seraient plus calmes en pédalant, plus aptes au travail. Des milliers de professeurs et de parents considèrent ainsi que le travail intellectuel est amélioré in situ par un sain pédalage alors qu'on ne fait que les épuiser physiquement pour pourvoir les maîtriser comme ces parents dépassés qui arrivent à avoir un peu de paix en gavant leur enfant de Ritaline. Si ce n’était pas aussi effrayant, ce serait drôle, comme dans le roman…