Quelques semaines après la sortie d’Eléor, Dominique A reste à longueur d’ondes. Après Y revenir et son enfance à Provins, “Regarder l’océan” (re)trace la route et les premiers pas de l’adolescent, puis du chanteur. Un livre qui croise entre mélancolie et apaisement.
Un grand frère. Un cousin. Peut-être un père pour les plus jeunes. S’il nous semble faire autant partie de la famille, c’est sans doute parce qu’il n’en a jamais revendiqué aucune. Et quand au retour de quelque voyage à Nanortalik ou Burano son grand corps plein d’absence repasse la porte de la maison, c’est le même rituel : il nous raconte ce que nous n’avons pas vu. Ou oublié.
Puis il y a cette lettre après son prénom, ce A début de tout, nu, anonyme, ouvert sur l’horizon, qui sans doute aussi nous rapproche de lui.
Et enfin ses chansons, magnétiques comme l’aiguille d’une boussole, ces lignes de fuite qui nous rassurent de ne pas en savoir davantage que lui sur l’amour…
Où part-il, ce grand frère, quand il écrit ?
Traverse t-il les quais de gare où nous sommes restés ?
Longe t-il les bords d’une rivière où jamais nous n’avons voulu plonger ?
Et nous ? Où étions-nous ?
Ses mots reviennent avec lui pour nous le dire. C’est sans pseudo qu’il signe ses livres mais le plaisir de le revoir passer la porte reste le même. Proche descendant d'Y revenir, pèlerinage en enfance, Regarder l’océan, prend les mêmes chemins que son prédécesseur et tisse avec cohérence une bibliographie aux teintes de premières fois, qu’il s’agisse de musique, de baisers, de désirs, d’amitiés ou de ruptures. En un mot : de révélations. Au sens mystique du terme (laissons les people reposer en paix).
Un rai de lumière au-dessus du visage de celle qu’il aime…
La new-wave dans laquelle il entre comme on entre en religion…
Ces chambres d’hôtel qui voyagent avec lui…
Une vieille professeure de chant qui le malmène gentiment…
Le récit est autobiographique et les chapitres courts, dégraissés. Ils se lisent comme l’on rouvre périodiquement les yeux lors d’un long voyage. D’une fenêtre, d’un hublot, Dominique Ané fait briller quand c’est noir autour et écrit des livres comme il compose. En prenant soin de sa nostalgie, pour reprendre ses termes. Penché sur ses souvenirs, son talent indéniable pour l’épure et la simplicité le range paradoxalement du côté « modèle du genre humain » -ce qu’il détesterait lire de lui, j’en suis certain. Mais qu’il le veuille ou non, mettre à jour des tonnes de doutes ou d’amour requiert autant d’épaules que de coeur. Fêlures et forces : un Homme, un vrai.
Et se livrant ainsi, c’est nous qu’il met à nu. Oh, sans le savoir, bien sûr… le garçon n’est pas du genre à nous montrer comment vivre de certitudes et quoi penser. Le doute est son (beau) fond de commerce : face aux sentiments qui constituent l’essentiel de notre être – une once de lâcheté, quelques grammes de violence, des tonnes d’amour déçu ou à revendre – il est comme nous tous.
À ne pas tout comprendre.
À chercher le silence quand tant de mots se battent dans la tête – ou le contraire.
Entre douleur et douceur, il écope sa barque à la main, quand bien même l’eau n’a de cesse de revenir sur ses pas.
Se mettre à nu, écoper : c’est tout ce qu’on demande à un auteur. Et quoiqu’il en dise, Dominique A en a depuis longtemps pris le chemin. Pour qui en douterait encore, ce livre en atteste. Dans l’anonymat récurrent des personnages évoqués, le filigrane des villes, des musiques ou des lieux visités, il cartographie avec une acuité rare un bout de carte de l’âme humaine, ce bel objet baigné d’un sfumato toujours plus ou moins tenace, où la légende en bas n’est pas des plus précises. Où le nord change parfois de direction. S’y trouvent des routes inondables… des rues soumises aux caprices du brouillard… des marécages signifiés par de petites rides semblables à celles de nos yeux après une nuit blanche.
Il n’en faudra pas autant pour Regarder l’océan. Nous le lirons d’une traite, de la source à l’estuaire. Une fois refermé, la ligne d’horizon sera encore là, sous nos yeux. Il n’est pas exclu de la trouver plus claire que d’habitude.