L’action se situe pendant le début des années 30 (puisque la Prohibition reste d’actualité), dans et aux alentours de Gibbsville, bourgade fictive de Pennsylvanie (et non Gibbsville, Wisconsin) suffisamment importante pour que sa société soit organisée suivant plusieurs couches. Le personnage principal, Julian English, est concessionnaire automobile. Il ne propose que des gros modèles, comme cela se pratiquait à l’époque. Et comme le roman date de cette époque, c’est parfaitement naturel pour l’auteur de décrire tout cela. Il faut aussi se rappeler que la Grande Dépression reste dans les esprits. Malgré la Prohibition, la vente et la consommation d’alcool se poursuit discrètement, chacun appliquant sa petite combine. Pour les grosses combines, elles sont du domaine des caïds du coin et le roman en présente quelques-uns.
Nous faisons la connaissance de Julian English lors d’une réception juste avant Noël. Il observe Harry Reilly, Irlandais d’origine, faire son numéro habituel pour amuser la galerie. En fait, cela n’amuse pas du tout Julian qui déteste Harry. Sauf qu’Harry n’en a pas la moindre idée. Il a même assez récemment prêté de l’argent à Julian qu’il considère comme un ami. Pourquoi Julian a-t-il demandé de l’argent à Harry, s’il le déteste ? Probablement parce que c’était la solution de facilité. Ce que Julian déteste chez Harry, ce sont ses manières et il rêve de lui balancer son verre à la figure.
Or, au chapitre suivant, on apprend incidemment que Julian est passé à l’acte, de manière assez compulsive, comme si sa main avait agi indépendamment de son cerveau. Quoi qu’il en soit, Julian va devoir en assumer les conséquences. La première est la réaction de sa femme, Caroline, qui ne comprend pas ce qui lui a pris. Étant donné qu’il n’a pas grand-chose à dire pour se justifier, cela amène une réelle tension dans le couple. Le roman s’avère donc en premier lieu comme une radiographie du couple formé par Julian et Caroline, qui appartient à la petite bourgeoisie de la ville. Étant en désaccord avec Julian sur son acte et le voyant s’enfoncer, Caroline s’éloigne inexorablement. Pourtant, entre Julian et Caroline, c’est le grand amour depuis longtemps et le roman nous détaille tout cela en faisant sentir comment et pourquoi une véritable complicité s’est établie entre eux. Mais le roman s’attache également à montrer comment cette complicité se trouve détruite assez rapidement par l’inconséquence de Julian.
Rendez-vous à Samarra expose toutes les composantes (et ses nombreux personnages), qui font les fragilités de la société qu’il décrit. Il existe une sorte d’ordre établi qui tient parce que règne un minimum d’hypocrisie. Ainsi, les caïds mafieux sont en quelque sorte tolérés du moment qu’ils se contentent de faire leurs affaires en marge de la société. A noter que Julian n’est pas innocent là-dedans car en tant que concessionnaire, il leur vend des voitures. L’expression n’est jamais utilisée ici, mais il accepte de blanchir de l’argent sale.
Cela lui retombera sur le nez à une soirée environ une semaine après celle où il a humilié Harry Reilly. Les tensions dans le couple Julian/Caroline amènent Caroline à montrer sa mauvaise humeur et Julian à s’isoler dans une voiture avec la maîtresse éméchée d’un truand, ce qui ne plait pas du tout à ce dernier qui la faisait surveiller. D’autre part, sous l’influence de Caroline, Julian a cherché à voir Harry Reilly pour tenter le coup d’arrondir les angles en lui présentant ses excuses. Or, Harry n’a rien voulu savoir. L’autre composante fondamentale de l’histoire, c’est que le coup d’éclat de Julian a vite fait le tour de la bourgade, faisant rapidement de Julian une sorte de paria qui se trouve dans une situation où il n’a plus qu’à attendre et espérer qu’un autre événement marquant survienne pour que les esprits commencent à passer à autre chose. La seule lueur d’espoir vient de son père qui apparemment n’a pas encore pris connaissance de l’événement. Mais que peut-il faire à part lui donner quelques conseils ? Dans cet ordre d’idées, nous avons également le père Creedon qui a son mot à dire. Mais Julian se montre maladroit et ne trouve jamais ce qu’on pourrait appeler la sortie de secours…
L’intérêt du roman est qu’il date de 1934, ce qui veut dire que l’auteur, John O’Hara, décrit une ambiance qu’il connaît bien. Avec un style bien personnel fait de nombreuses digressions qui permettent d’en apprendre de plus en plus sur le passé de Julian au fil de la lecture, O’Hara décrit donc une société qui fonctionne jusque-là, mais qui porte en elle les germes de son effondrement. Comme on dit, le ver est dans le fruit. Le couple Julian/Caroline en est le symbole.