Lassée par des Mémoires d'Outre-Tombe étudiées pour le Bac de Français, dépitée par le temps pluvieux de cette époque, j'avais enterré pour de bon Chateaubriand, décidée à ne plus m'attarder sur le sujet. Les concours de circonstances m'ont amenée successivement à ce que l'on me parle de René, puis à ce que je me retrouve nez-à-nez avec ce livre que je ne pensais pas posséder. Je ne pouvais donc résister à tant d'acharnement de la part des astres, et j'ai donc donné une seconde chance à notre ami. Je n'ai pas été déçue!!
Pour information, il me paraissait impossible de ne pas étayer mes propos par quelques citations, je m'excuse par avance des nombreux "caches" de spoils qui pourraient gêner la lecture de certains, ou enchanter d'autres qui voudraient pouvoir seuls découvrir ce texte magnifique!
L'on s'accorde à faire de Chateaubriand au travers de René, un pionnier de la mélancolie romantique et l'un des précurseurs de ce type de récit : faire part d'une existence malheureuse, premiers émois de ce "mal du siècle" que beaucoup après lui évoquerons, tel Musset dans ses Confessions d'un enfant du siècle.
Dans un style fluide et paisible, chateaubriand nous livre ici les secrets de sa vie. La rêverie et le lyrisme se mêlent à la mélancolie, à une profonde tristesse même que rien ne semble pouvoir adoucir. Le vocabulaire employé, parfois macabre, frappe autant qu'il peut dérouter.
"Mais je me lassai de fouiller dans des cercueils, où je ne remuait trop souvent qu'une poussière criminelle".
"C'est ainsi que toute ma vie j'ai eu devant les yeux une création à la fois immense et imperceptible, et un abîme ouvert à mes côtés".
Son regard parait presque désabusé face à un idéal qu'il poursuivait et que semble-t-il, il n'a pu atteindre, frappé par une fragilité et une instabilité dramatique.
"On m'accuse d'avoir des goûts inconstants, de ne pouvoir jouir longtemps de la même chimère.."
"Notre coeur est un instrument incomplet, une lyre où il manque des cordes, et où nous sommes forcés de rendre les accents de la joie sur le ton consacré aux soupirs".
L'on retrouve dans ce récit tous les éléments de la future pensée romantique : une réflexion sur le temps qui passe, repris par tant d'autres à sa suite, on ne peut s'empêcher de penser au poème de Lamartine, Le lac. On retrouve le thème évoqué en ses Mémoire d'Outre-Tombe, la destinée humaine et son sens tragique. En ce sens, le génie de Chateaubriand vient à opposer la vie et la mort dans divers évocations concernant le décès de son père et sa mère.
"Rien ne m'a plus donné la juste mesure des évènements de la vie et du peu que nous sommes. Que sont devenus ces personnages qui firent tant de bruit? Le temps a fait un pas, et la face de la terre a été renouvelée".
Le texte est également parsemé d'allusions aux ruines et aux héros antiques, symboles forts de la rêverie mélancolique. C'est en évoquant ces vestiges qu'une définition somptueuse de l'art nous est donné.
"L'architecte bâti, pour ainsi dire, les idées du poète, et les fait toucher au sens".
Le thème de la religion est également très présent, et les références nombreuses, sujet cher à Chateaubriand auteurs de divers ouvrages en ce sens, on pense au Génie du Christianisme.
En outre, les descriptions poétiques et la présence d'une nature réconfortante imprègne le texte et lui donne alors une beauté et une dimension inégalées. L'allusion aux cloches retentissant dans son village natal et les diverses évocations de la nature et de la vie champêtre semblent conférer au texte nostalgie et douceur de vivre en dépit d'un ton lassé et presque désenchanté.
Ce texte peut paraître abrupte dans le vocabulaire parfois employé, soutenu, il n'en demeure pas moins qu'il s'agit là d'un récit aux accents dramatiques, mais ô combien magnifique dans ses évocations champêtres et bucoliques. C'est un texte magique pour qui accepte de s'arrêter un instant pour se laisser bercer et transporter par son imagination et sa rêverie.