"J'aimerais enterrer un objet précieux dans chaque lieu où j'ai connu un instant de bonheur..."
"...et puis, devenu vieux, laid et misérable, je reviendrais déterrer l'objet et réveiller le souvenir."
On évoque souvent l'importance du contexte de son écriture lorsqu'il s'agit de critiquer un roman. Retour à Brideshead n'échappe pas à la règle.
Nous sommes en 1944 et l'Angleterre est en proie à la guerre. Et qui dit guerre dit privations et rationnement. Evelyn Waugh, alors mobilisé, se fracture le péroné lors d'un accident pendant un entraînement de parachutage. Il écrivit lors de sa convalescence ce qui allait devenir et qu'il appelle lui-même son magnum opus : Brideshead Revisited.
Waugh évoquera plus tard dans une édition révisée du livre le fait que beaucoup d'éléments étaient en contraste avec la situation de guerre, notamment une certaine nostalgie de la splendeur passée de la noblesse anglaise et la facilité à se nourrir et à boire avant la guerre. A tel point que le livre paraîtrait presque teinté de gloutonnerie. Ces deux notions sont importantes pour saisir l'essence même du livre de Waugh.
Tout commence par une rencontre. Le jeune Charles Ryder, talentueux peintre agnostique, découvre une autre facette de l'aristocratie en la personne de Sebastian Flyte. Ce dernier est un catholique charismatique au possible, d'une excentricité telle qu'il en devient tout un objet de fascination pour Charles. Au cours de leur amitié naissante, Charles a l'occasion d'aller à Brideshead, la demeure de la famille de Sebastian.
Il va alors rencontrer toute la maison Flyte, peuplée de personnages aussi extravaguants que Sebastian.
Charles va alors, comme le dit si bien antonia_m dans sa liste, "tomber amoureux de toute la famille".
Le problème, chez une famille catholique dans un pays anglican, c'est que chacun de ses membres -et c'est un thème récurrent du livre- ont une façon très personnelle d'aborder la foi catholique qui prime. Ceci particulièrement à cause de l'influence de la mère. Délaissée par son mari qui a préféré partir à Venise plutôt que de l'affronter, elle va rejeter ses problèmes sur ses enfants, et chacun aura sa propre manière de la considérer.
Sebastian le vit mal. Sa relation avec Charles et très fusionnelle, mais celui-ci est en plus attiré par Brideshead, ce qui aura des influences très néfastes sur lui.
Et ce n'est que le point de départ d'un livre de 600 pages qui se lit avec une facilité déconcertante. Ecrit sous la forme de mémoires, nous vivons les visites et l'évolution de Charles à Brideshead d'un point de vue intérieur décrit à la perfection. Je n'ai jamais lu un livre aussi fluide. Il y a une telle beauté dans la manière de décrire les relations entre les différents personnages, comment chacun supporte son carcan social, sa foi, sa manière d'être. Chaque personnage évolue au fil du temps, qui semble passer à une vitesse affolante. C'est splendidement retranscrit dans ce livre nostalgique au possible. Une certaine mélancolie s'en dégage, mélancolie sur laquelle joue l'auteur pour nous lancer sur des passages proprement magnifiques. La narration de la vie de Julia avec Rex est un chef d'œuvre à elle-seule. Tout est décrit avec des mots si bien trouvés, qui s’enchaînent avec une justesse rare et un ton presque désenchanté. On finit par aimer le livre uniquement pour la beauté de sa prose.
Et Waugh a plus d'un tour dans son sac. Il a bien compris les effets du temps qui passe et ceux de la foi qui définissent nos principes, parfois mis à l'épreuve de la vie.
Ainsi le livre ne peut être ennuyeux, car l'évolution est constante. Il peut y avoir quelques longueurs, mais c'est toujours merveilleusement bien écrit. Je le souligne car c'est rare de ma part que je m'attarde sur ce genre de détails.
Mais voilà, Brideshead est trop réaliste. Trop sérieux aussi. Il y a quelques touches d'humour mais elles sont bien rares et tiennent plus dans des dialogues délicieux entre Charles et son Père. La nostalgie est un peu trop présente à certains endroits.
C'est surtout sa fin qui peut le plomber. Les derniers instants du livre, qui nous laissaient un suspense presque angoissant, descendent d'un seul coup la tension, et cela assez maladroitement d'un certain point de vue.
Certes, on pouvait deviner dès le début la fin, étant donné le ton des mémoires du personnage principal, mais on ne voulait pas affronter la réalité lorsque tout allait bien. Tout était trop beau pour durer. Même les personnages le ressentent.
Et quand on est en pleine empathie avec les personnages d'un roman, c'est le signe que l'on a un grand livre.