Retour à Killybegs, c'est l'histoire d'un homme, mais surtout, d'un traître qui a commis le plus grand des outrages : trahir sa patrie, ses frères et sa famille.
Inspiré d'une histoire vraie, celle de l'amitié entre Sorj Chalandon et un activiste de l'IRA, ce roman (courronné du Grand prix du roman de l'Académie Française 2011, pour ce que ça vaut...) plonge donc le lecteur en Irlande. Pas dans ces paysages constellés de châteaux vaguement lugubres, ni dans la réussite économique du Celtic Tiger, mais dans cette Irlande profonde, où la vie se concentre dans les pubs, où la haine des Brits émane de chaque habitant et où seul cet éternel combat pour "l'Irlande libérée" semble légitimer la vie des hommes. Une Irlande sale, poisseuse et qui ne montre vraiment pas pourquoi tous ces gens se sont battus pour elle.
Et c'est là qu'intervient Tyrone Meehan (nom fictif), jeune Irlandais que l'on suivra de l'aube jusqu'au crépuscule de sa vie. Et c'est le seul personnage qui sera vraiment développé en profondeur, et on ne disposera que de son point de vue. Parce que le but de ce roman, c'est de comprendre. Comprendre comment un homme peut en arriver à trahir, à aller à l'encontre de ses valeurs, de sa famille, de ses amis, et pourquoi il le fait. Et tous les personnages "secondaires" semblent n'être que des prétextes, pour montrer l'évolution psychologique du héros, des miroirs qui lui permettront de se rendre de son évolution, et des choix qu'il a fait.
Parce que le plus dur dans la trahison, ce n'est pas forcément après, quand tout le monde sait (et ça, le roman l'annonce dès le début), le plus intéressant, le plus éprouvant, c'est de vivre en sachant qu'on trahit, de douter des gens, de s'endormir le soir en sachant qu'on ment à tout le monde : c'est vivre dans la culpabilité constante, ce que le roman restitue à merveille.
Et ce grâce à un procédé narratif simple et intelligent : la narration est scindée en deux, d'un côté on suit le parcours chronologique de Tyrone, de l'autre, sa vie depuis que tout le monde sait. Sans forcément savoir qui, quoi, comment et pourquoi, et les réponses seront distillées jusque dans le dernier chapitre, pour garder intact le suspense, et la tension.
Bon, on pourra toutefois arguer que les 330 pages du livre semblent bien insuffisantes, tant la vie de ce brave homme semblait remplie, et tant il y avait encore à dire (il y a beaucoup d'ellipses), mais après quelques recherches, on constate que Sorj Chalandon était quand plutôt bien renseigné sur son sujet (le mouvement indépendantiste et les tensions en Irlande) et que la majorité des événements historiques importants furent bien restitués. Une Histoire dure, qui parait presque surréaliste tant la violence relatée dans ces pages est inouïe (le fameux traitement des prisonniers irlandais, et les réactions de Maggie), alors que tout cela s'est passé en Europe, et même dans l'Union Européenne. Et pourtant, Chalandon parvient à rester relativement neutre, même s'il adopte le point de vue de Tyrone, il reconnait des torts tant du côté britannique que de celui de l'IRA.
En bref, près de 70 ans d'Histoire de l'Irlande s'étalent dans ces pages, Chalandon maitrise son sujet d'une manière impressionnante et le récit de cet homme, ce "traitre" est vraiment poignant et intelligemment narré. Et, cerise sur le gâteau, le style est fluide, agréable et a ses éclairs géniaux, sans jamais tomber dans le pompeux. Bref, un très bon roman !