Alors, j'ai attendu la mort avec l'espoir d'être délivré

Il est des œuvres qui marquent. Retour à Matterhorn est de celles-là. Lorsque j’avais réfléchi, voilà quelques mois, à mettre au point mon top 10 livres, la tâche avait été beaucoup plus complexe que pour les films. Finalement j’avais fini par réussir à monter quelque chose qui me ressemblait. Hier, lorsque j’ai refermé la couverture finale de cette œuvre, l’évidence m’a rattrapé : non, ma liste n’était pas achevée.
Retour à Matterhorn a tout simplement remplacé A l’Ouest Rien de Nouveau de E.M.Remarque. Ce dernier nous a laissé un témoignage éblouissant mais, quelque part, Karl Marlantes a dépassé son vieux compagnon. Alors, évidemment, ils ne se sont pas connus ; mais tous deux partagent le même passé, celui qui uni les combattants, ceux qui ont connu le feu. Au premier, allemand, les tranchées ; au second, américain, la jungle, ses collines, ses tigres, ses sangsues, ses tranchées.

Retour à Matterhorn est une plongée dans un enfer aux multiples facettes. Avec Mellas, jeune lieutenant qui semble beaucoup emprunter à l’expérience de Marlantes, nous nous retrouvons en 1969, à la frontière entre Laos et Nord-Vietnam. Malgré la réussite militaire US de la bataille du Têt qui a laminé le vietcong jamais l’Oncle Sam ne pourra gagner cette guerre. Impossible d’envahir le Nord ou le Laos, les militaires mènent une guerre pieds et poings liés par la politique. La guerre est donc perdue, les négociations de paix ont commencé mais on continue à se battre. L’état-major est obnubilé par le boby count alors on envoie les sections traquer le Viet.

Retour à Matterhorn est un roman, en partie fictif, de guerre. Cette dernière est traitée sous toutes ses formes : la vie quotidienne, sa monotonie, son ennui. Les opérations de reconnaissance, les combats, terribles, la peur, les blessés, les mutilés, les morts. Mais le Vietnam est une guerre singulière : c’est une guerre de l’Amérique contre elle-même. C’est une guerre de pauvres, avec ses pauvres blancs, ses pauvres noirs, ses luttes entre le black power et le racisme sudiste. C’est une guerre que les militaires de rang ne peuvent gagner ; seuls restent aux officiers de carrière l’ambition de monter dans la hiérarchie, de glaner une médaille, de gagner une place à l’état-major. L’homme de troupe lui n’a rien d’autre que la perspective de terminer indemne son turn of duty. Physiquement, peut-être y arrivera-t-il. Mentalement, c’est impossible.

Un à un les Gis tombent ; ici une balle, là une mine, là un tigre, là les moustiques, les fièvres, le suicide, l’alcool, la dope, la connerie d’ordres impossibles, la soif en pleine Mousson, la folie.
Marlantes livre ici le livre d’une vie, gestation chaotique de 30 ans. Une fulgurance absolue, une œuvre vrai, inoubliable. J’ai du, parfois, refermer le livre pour sortir prendre l’air. Le cinéma nous a gâvé d’images terribles, de Stone à Coppola, de Kubrick à Cimino, de Hamburger Hill à l’Echelle de Jacob ; une série magistrale comme L’Enfer du Devoir a marqué le jeune téléspectateur que j’étais. Et bien toutes ces œuvres, aussi majeures soient-elles, ne sont rien comparées aux mots, aux phrases, au talent de Marlantes.

La guerre est horrible, mais elle est un fait. Pour la faire, contrairement à l’amour, il suffit d’un être. Dans nos sociétés civilisées, selon les désirs de Clémenceau et sa fameuse supplique « La guerre est une affaire trop sérieuse pour être laissée aux militaires », ce sont les politiques qui envoient de jeunes hommes et femmes au carton. Mais, surtout, il ne faut pas la montrer ; La guerre, c’est sale. Marlantes, sans jugement, nous montre ces hommes, faibles, forts, terrifiés, certains découvrant l’ivresse de donner la mort, sans fard. Tout est là. A nous de faire avec. A nous de vivre avec sans oublier que eux, ils sont morts. Physiquement ou psychologiquement, ils sont tous morts. Pour le bien ou le mal, on s’en fout ; à la fin, c’est la nature qui gagne.
Aqualudo
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le 11 juil. 2013

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