Rêves de Gloire est un roman un peu fou, un monument atypique dans le paysage littéraire. Dans un enchevêtrement de récits, de témoignages, de dialogues et de chroniques musicales, dans un vaste bazar de voix de toute origine, il nous montre une réalité parallèle de notre monde, un monde qui aurait pu exister à la faveur de minimes variations de l'histoire. Dans ce monde-ci, De Gaulle a été assassiné en 60, et l'Algérie finalement décolonisée est amputée de trois villes devenues enclaves de la métropole. Alger est parmi elles, et elle commence à attirer les déçus du régime français, les antimilitaristes de tous bords, les paumés et les rêveurs d'un peu partout. Elle devient un lieu unique, d'utopies et de création, un creuset culturel intense qui regroupe les grands artistes du moment et leur donne l'inspiration. On voit aussi apparaitre les vautriens : rassemblés par l'idée de changer le monde grâce à l'entraide et la non-violence, ils sont le renouveau de la population algéroise et les déclencheurs de beaucoup d'évènements sociaux ou musicaux, en partie grâce à la Gloire (entendez : la LSD) à laquelle ils carburent tous.
La trame principale de l'histoire se déroule au début du XXIè siècle : un disquaire passionné entreprend de remettre la main sur le plus rare des vinyles jamais pressé en Algérie, celui des Glorieux Fellaghas. Il réalise très vite que sa rareté est égale à sa dangerosité, et que cette quête a déjà fait des victimes... Par dessus cette narration se rajoutent celles de personnages variés et innombrables, qui donnent chacun un bref éclairage des évènements, dans un désordre chronologique complet : soldats, manifestants, vautriens, musiciens, drogués, célèbres ou non, bavards ou pas, ils apportent un morceau de puzzle que le lecteur tente de reconstruire. Aucun ne donne son nom, comme s'ils parlaient pour tous, comme s'ils représentaient tous autant l'immense fresque qu'ils constituent, celle de ce pays fantasmé et magique, qui parait tellement réel finalement. En plus de parler des personnages, le récit laisse voir en filigrane à quoi ressemble le monde en dehors de l'Algérois, et on apprend au détour d'une phrase que Johnny Hallyday est mort en pleine gloire dans un attentat, que Patti Smith n'a jamais sorti qu'un seul album, qu'Israël et la Palestine ont formé une fédération, ou que l'URSS a atteint la Lune quelques instants avant les États-Unis... Plus de multiples anecdotes sur des groupes de rock fictifs, des Lutins psychodéliques aux Cravates à Pois en passant par Dieudonné Laviolette et les Blattes ; et en guest l'apparition de Camus, qui a eu le temps de vieillir et qui imagine quel serait le monde si l'histoire ne s'était pas déroulé tout à fait comme prévu...
Il y a encore énormément à dire sur ce roman, sur sa construction très exigeante mais épatante, sur sa documentation historique et son art d'en dévier, sur sa foule de personnages bigarrés ; alors parlons simplement du message qu'il tente d'apporter : celui de la fraternité, de l'union, celui de l'utopie aussi, et du pouvoir de croire dans ses rêves. Il laisse à penser qu'un autre monde n'est pas seulement imaginable, mais qu'il est à notre portée, pour autant qu'on le veuille, qu'on pousse la porte et qu'on monte pour de bon dans le train de la réalité.