Un roman remarquable, à tellement de points de vue, que je ne sais par où commencer.
L'action se situe pour l'essentiel à Alger, entre 1960 et notre époque, et se déroule dans un monde où l'histoire aurait suivi un cours différent (c'est une uchronie, pour le dire en un mot). La construction narrative repose sur un vaste ensemble de personnages, qui racontent leurs histoires, dans de brefs passages (3 pages tout au plus), qui se succèdent donc à un rythme effréné (le roman en fait 800). Ces narrateurs ne mentionnant que rarement leurs noms et leurs récits s'entrelaçant sur les différentes époques (années 60, 70 et époque actuelle) du roman, la lecture de la première moitié de celui-ci est pour le moins ardue (avec de fréquents retours en arrière).
Ce n'est qu'au fil des pages que l'on commence à découvrir que certains narrateurs jouent un rôle central dans la trame du roman, qui peu à peu se dessine. Fort heureusement, chacun d'entre eux nous raconte sa propre histoire dans son ordre chronologique, et l'on découvre petit à petit que certains d'eux se sont croisés. Et certainement, en relisant le début du roman après l'avoir fini, on découvrirait d'autres traces ou d'autres indices passés totalement inaperçus en première lecture.
Wagner situe Alger dans un monde finalement pas si différent du notre, mais dans lequel les choses ne sont passées de la même façon. La guerre d'Algérie a duré jusqu'au milieu des années 60 et a fini par aboutir à une partition, la France conservant Alger, Oran et Bougie, les deux dernières étant rétrocédées à l'Algérie dans les années 70. C'est justement au moment de la rétrocession d'Oran qu'intervient la commune d'Alger, la ville se séparant de la France (dirigée par un dictateur à la suite d'un putsch militaire) au cours d'une nuit rocambolesque.
"Rêves de gloire" est également une évocation très réussie des années 60 (que l'auteur n'a connu qu'enfant) et de leurs utopies : suite à la partition, les algériens quittent Alger et libèrent ainsi la Casbah, dans laquelle viennent s'installer des hippies français (nommés vautriens, par contraction de vautrés et vauriens). Ce mouvement prendra son essor au cours de l'été 64, sous l'impulsion de Timothy Leary, qui d'abord installé au Ritz, part pour Biarritz avec une bonne provision de LSD (nommé Gloire, avec une majuscule, dans le roman dont on comprend du coup mieux le titre...).
Une bonne partie de l'histoire se déroule ainsi dans la Casbah, avec des vautriens qui multiplient les expériences autogestionnaires, de non-violence et communautaires, et devient en définitive une sorte de San Francisco...d'où émergent des genres musicaux : gymnase rock, rock psychodélique. Wagner s'en donne à cœur joie pour réécrire l'histoire musicale de l'époque, mêlant allégrement des musiciens connus et souvent mais pas seulement anglo-saxons à des groupes et stars imaginaires de la scène algéroise (les cravates à pois, les lorgnons bigleux, les humains et le formidable Dieudonné Laviolette, véritable Hendrix antillais avec son groupe Expérience Violette).
Mais l'histoire tourne mal à l'aube des années 70, avec l'arrivée de la blanche (l'héroïne) dans la Casbah, et notre époque s'avèrera beaucoup plus sombre, même si les punks portent encore le flambeau à la fin des seventies, au cours justement de la Commune d'Alger.
Les 200 dernières pages du livre sont un véritable feu d'artifice, au cours duquel les trajectoires des protagonistes finissent par converger (sur différentes époques) et on comprend alors qui est qui et qui a fait quoi !
L'ensemble est un plaidoyer humaniste en faveur de la tolérance, de la liberté, du mélange des cultures et de la créativité. Il est bien sur très actuel, et à sa lecture on croit comprendre que malheureusement le meilleur est peut-être derrière nous, d'où le titre de cette longue critique.