Raphaëlle Bacqué a entrepris d'écrire une biographie de Richard Descoings, qui avait gagné dans notre pays un statut rarissime pour un haut-fonctionnaire, celui de star des médias et d'intouchable, une sorte d'icône, aussi bien à gauche qu'à droite. Je n'ai moi-même rencontré Descoings qu'une seule fois, peu de temps avant sa mort, et je l'avais trouvé assez éteint, pas du tout fascinant, et j'avoue avoir en vain cherché le charme qu'elle décrit comme irrésistible. Bacqué veut rendre compte d'une personnalité complexe, déchirée entre une aspiration hédoniste héritée de son appartenance à la communauté homosexuelle dès sa jeunesse, et sa volonté de faire bouger les lignes dans la société, les deux sujets n'étant peut-être pas si disjoints que cela. C'est le portrait d'un homme mal dans sa peau, qui devient bipolaire, sans qu'on ne sache trop pourquoi. Est-ce une homosexualité difficilement assumée ? est-ce une insatisfaction permanente liée à cette double aspiration ? toujours est-il que Descoings va se laisser lentement entraîner sur la pente de l'autodestruction.


Le livre a énormément de défauts : très mal écrit, il tombe souvent dans la caricature ou l'eau de rose ("le charme vénéneux de Richie"), avec un usage abusif des stéréotypes, qu'ils soient journalistiques ou sociétaux. Les portraits qu'elle fait des différentes personnalités sont souvent ridicules car très idéalisés ou à gros traits. Sa description du monde gay démontre une méconnaissance totale des us et coutumes et elle simplifie et caricature les choses à outrance ("les fêtes d'Emmanuel Goldstein où se presse le Tout-Paris…"). On a parfois l'impression qu'elle a écrit ce livre pour faire saliver sa cousine de province en décrivant l'épicentre du glamour, alors que le monde de Descoings était en vérité assez éloigné du show-biz, même si proche du pouvoir.


Donc le portrait et le cheminement psychologique de l'homme est assez grossier. Le troisième tiers du livre est plus intéressant : c'est celui qui décrit la dérive de Richard Descoings, après son mariage avec Nadia Marik, où il tombe dans une espèce de despotisme à Science-Po, annihilant tout débat et rejetant toute contestation de ses décisions et de son autorité. C'est une sorte de descente aux enfers, après un apogée qui suscite l'intérêt de Sarkozy, qui lui propose le ministère de l'éducation nationale, juste après l'éviction de Darcos en 2009. C'est dans cette dernière partie que Bacqué pointe le mieux les contradictions qui déchirent Descoings, et l'insatisfaction qui le ronge. Les amours complexes (Pepy, Nadia Marik, les deux en même temps, les escorts boys, les jeunes éphèbes de Science-Po…), la folie des grandeurs, l'alcool et la drogue, les conflits avec les académiques de l'institution de la rue Saint Guillaume. Il est dommage qu'elle n'approfondisse pas assez les convictions de Richard Descoings : quelles étaient-elles vraiment ? Voulait-il faire un coup dans la société, ou avait-il réellement une volonté de redonner toute sa vigueur à l'ascenseur social dans notre pays ? On ne sait pas et peut-être qu'elle non plus.

Zitto
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le 8 mai 2015

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