Habitué à la littérature romanesque, j’ai retardé de plusieurs mois le moment de découvrir la prose de Dan O’Brien, auteur encore assez méconnu dans nos contrées, alors que sa réputation n’est plus à faire chez lui, aux États-Unis. Son ouvrage est sous-titré « Le périple d’un fauconnier à travers l’Ouest américain ».
Le sous-titre et la photo de couverture exerçaient sur moi un attrait irrésistible. Pour lever toute ambigüité, sachez que Dan O’Brien raconte sa vie. Cela pourrait être l’indication d’un ego démesuré, point pour lequel il me reste un petit doute après la lecture du bouquin. A la décharge de l’auteur, je retiens qu’il conclue avec beaucoup d’humilité sur quelques réflexions très générales concernant l’espèce humaine et son avenir sur la planète Terre.
L’histoire elle-même est relativement simple. En tant que responsable pour le compte de la Peregrine Fund, d’une mission de réintroduction du faucon pèlerin dans son habitat naturel qu’étaient les Montagnes Rocheuses (plus d’un million de kilomètres carrés) où ce petit rapace était en voie d’extinction, Dan O’Brien raconte comment de jeunes faucons sont élevés dans son centre avant d’être relâchés en pleine nature. Il explique les précautions prises pour que ces oiseaux puissent avoir une chance de reprendre une place dans leur territoire en tant qu’animaux sauvages. Pour cela, ils doivent non seulement être capables de voler, mais aussi de chasser et surtout d’échapper à leurs prédateurs (les aigles notamment). Le premier chapitre est un régal avec de nombreuses informations passionnantes et une tentative de lâcher de jeunes faucons où la tension, réelle, illustre un scénario angoissant avec une parfaite illustration de la lutte pour la survie (struggle for life comme disait Darwin) et de la position de l’homme dans le cycle de la vie.
Ici l’homme c’est donc Dan O’Brien qui décide que Dolly, jeune faucon femelle ayant survécu sans séquelle à une première chance manquée de réintroduction, fera un sujet d’expérimentation plus poussé. Il va tout simplement voyager avec ce faucon après l’avoir nourri et élevé quasiment comme un rapace destiné à la chasse (celle menée par l’homme), tout en ayant constamment à l’esprit que le but est de lui faire prendre conscience de ses capacités avant de le relâcher pour sa seconde chance de liberté totale dans son habitat naturel.
Le bouquin détaille toutes les étapes qui feront de Dolly un faucon capable de s’épanouir dans le vol (il fait sentir le plaisir qu’elle prend à s’élever de plus en plus haut grâce aux courants ascendants), utiliser sa vue perçante pour observer ses proies à des distances incroyables pour l’œil humain et chasser des proies de plus en plus difficiles. Restent les dangers représentés par les prédateurs. Enfin et surtout, n’oublions pas que si le faucon pèlerin a failli disparaître de la région en question (plus que 3 couples au début du programme), c’est en bonne partie dû aux activités de l’homme. Le bouquin contient donc de nombreuses observations de l’auteur sur ces activités. O’Brien voyage, rencontre des amis, chasse avec eux différents gibiers, va de ville en ville, regarde aussi bien des matchs de football que l’extension des villes. Il n’oublie pas que chacun porte sa responsabilité quant à l’état actuel du monde. Ainsi, il dit écrire devant son écran d’ordinateur avec un logiciel de traitement de texte (comme nous tous pour nos critiques). Un détail ? Certainement pas, car il insiste plusieurs fois pour rappeler que vivre comme nous le faisons actuellement implique des choix. S’il a choisi son habitat dans une plaine (Dakota du Sud) où peu de voisins peuvent lui disputer son territoire, l’auteur décrit une rencontre fortuite sur une terrasse d’hôtel avec une jeune femme annonçant avoir acheté une parcelle de terrain pour y faire construire une maison dans la vallée en contrebas. Un passage pour de nombreuses espèces animales…
Le bouquin est donc particulièrement intéressant car l’auteur est un personnage fascinant, lui-même fasciné par Dolly qui lui inspire de très belles pages (247 au total avec la postface à ne surtout pas regarder avant d’y arriver). La relation entre O’Brien et Dolly tend vers le rapport père/fille. La confiance s’établit et Dolly se montre très bonne élève. O’Brien tente de se préparer à la séparation.
Intéressant aussi de constater que l’auteur parle beaucoup de chasse comme quelque chose de nécessaire (survie des espèces, y compris l’homme, lui-même ne chassant jamais gratuitement), activité tellement réglementée qu'il finit par la pratiquer en douce pour parachever l’apprentissage de Dolly. Autre constat notable, O'Brien ne remet jamais en question sa mission. Pourtant, il sait que l’activité de l’homme porte une large part de responsabilité dans la menace d’extinction du faucon pèlerin. L’activité de l’homme pour le réintroduire est-elle une bonne solution ? Avec ses tentatives, il donne du gibier à d’autres espèces et il introduit une espèce dans un territoire déserté par celle-ci. L’intervention de l’homme apporte une modification, une sorte de déséquilibre. Toute action a ses conséquences. Qui peut prédire celles de la réintroduction du faucon pèlerin dans cette région ? Bien entendu, je me situe du côté de Dan O’Brien. Pourtant, même s’il ne le dit jamais ainsi, son action est plutôt du genre à soigner les symptômes plutôt que de s’attaquer à la maladie. La maladie, il la connaît, c’est le besoin d’appropriation de l’espèce humaine et les moyens qu’elle se donne pour parvenir à ses fins. Comprendre cela permet d’ajuster son propre comportement, pas de modifier celui des autres. O'Brien choisit de tenter de sauver ce qui peut encore l’être, plutôt que de se croiser les bras devant les désastres écologiques qu'il observe.
Le meilleur du bouquin tient à mon avis dans la description de la nature et de la relation entre Dolly et le fauconnier :
« J’ai coupé le moteur et je suis sorti de la voiture, la nuit me paraissait sombre et froide. Alors que mes yeux s’accoutumaient à la lumière de la lune, mon regard a porté sur une distance incroyablement longue. Le buisson créait une ombre en trois dimensions qui s’étalait sur ses propres branches, et un morceau de barbelés courait, dédoublé dans les rayons lunaires, sur une distance infinie d’un vert argenté. »
« Le jour du premier vol de Dolly – sa première occasion de prendre une proie vivante – a commencé par un lever de soleil radieux. Le ciel à l’est était zébré d’or et de rose, l’horizon maculé de nuages bas. Ce lever de soleil incroyable était le fruit d’un front qui s’était déplacé pendant la nuit. »
« C’était une de ces milliers de cabanes érigées dans les Black Hills au cours du siècle passé. La nature avait repris ses droits et la bâtisse ne logeait plus qu’un grand duc. »
« Je ne la regardais pas mais j’ai ressenti l’instant où elle déployait ses ailes pour s’élancer. Si l’on se concentre on peut sentir le pèlerin s’alléger juste avant son envol. C’est la manifestation de son impatience, de son état d’esprit. Si l’on ne regarde pas son oiseau s’élancer, si l’on se contente de le sentir, on jurerait qu’il se mêle à l’air, qu’il devient soudain plus léger, jusqu’à ce que la gravité ne soit plus un obstacle pour lui. »