Robe de marié est un des meilleurs exemples que je connaisse de manipulation romanesque. Impossible de voir venir les pièges tendus par ce malin de Pierre Lemaître. Ce dernier exploite à merveille la principale différence entre la littérature et le cinéma. Dans un roman, on ne voit rien, on imagine. Et avec ce qu'on imagine, le romancier a toute la place qu'il veut pour s'amuser. Il lui suffit d'adopter pour cela un mode narratif grâce auquel il ne nous livrera pas certaines informations essentielles à la bonne compréhension de ce qu'il se passe. Où tout simplement à changer de point de vue, en passant de la vision interne d'un personnage (la victime) à un autre (son bourreau).
La manipulation littéraire se double du fait que l'histoire de Robe de marié met en scène un manipulateur. Et pas des moindres ! Certainement un des mythomanes/psychopathes/manipulateurs les plus réussis de la littérature policière.
Du coup, pris entre la manipulation du premier (le romancier) et celle de son personnage (le manipulateur), notre identification à la victime, Sophie, est d'abord douloureuse - on ne comprend rien à ce qui lui arrive- puis angoissante (car le procédé s'inverse, on en sait alors plus que Sophie sur la dangerosité de sa situation) et enfin jouissive dans la dernière partie.
Robe de marié est un roman très cinématographique dans sa dimension scénaristique (il rappelle certains Thrillers américains) mais paradoxalement on n'imagine pas du tout le mécanisme littéraire mis en place par Pierre Lemaitre pouvoir fonctionner aussi bien une fois mis en image. Un bon exemple qui illustre la force des images qu'on nous suggère (dans la littérature) face à celles qu'on nous impose (au cinéma).
Un roman à suspense magnifiquement construit qui reste longtemps à l'esprit.