Vous savez quoi, à l’heure des sites de rencontres sur Internet, les agences matrimoniales existent toujours. Probablement à cause de la méfiance relative à l’anonymat pratiqué sur un site web. Rencontrer quelqu’un c’est toujours prendre un risque. Dans une agence matrimoniale, on peut espérer du solide, du sérieux. D’accord l’inscription revient cher, mais vous savez ce qui motive les personnes que vous rencontrez : le mariage. Bien entendu, une personne « normale » cherchant à se marier doit pouvoir trouver chaussure à son pied sans dépense extra-ordinaire. Outre les relations professionnelles, on a le choix entre le club où on s’inscrit pour ses loisirs, les boîtes de nuit, les terrasses des cafés et les hasards de la rue au gré des fantaisies des uns et des autres. L’inscription dans une agence matrimoniale est généralement considérée comme un signe que quelque chose cloche quelque part. Accumulation de clichés ?
Dans une quelconque ville de province, la soi-disant Catherine, 30 ans, physique tout à fait correct, intelligence de même acabit mais venue de « nulle part » et employée au noir dans un fast-food tenu par un patron aux pratiques répugnantes, accepte les rencontres qu’on lui propose dans une agence matrimoniale largement au-dessus de ses moyens. Après un petit temps de réflexion, elle décide de revoir le sergent-chef Frantz. Elle prétend faire des ménages (pour ce que ça change…) Lui serait l’insignifiance personnifiée s’il n’était pas laid. Extrait :
« En le regardant choisir dans le menu (elle guette pour voir si ses yeux s’arrêtent longtemps sur les prix), elle se demande comment un type comme lui pourra sortir indemne d’une histoire pareille. Mais c’est chacun pour sa peau. Et puisqu’il veut une peau de femme, il faut bien qu’il accepte éventuellement d’y laisser la sienne. C’est un vrai mariage en somme. »
Avec robe de marié…
Mieux vaut découvrir à la lecture qui sont ces deux personnages, principaux protagonistes de ce thriller qui illustre bien la vitalité française dans le domaine. Si la première cinquantaine de pages en forme de montée délirante et sanglante laisse une impression mitigée (le lecteur peut être rebuté au point d'envisager de ne pas aller plus loin), le roman prend ensuite de l’épaisseur avec la rencontre entre les deux protagonistes principaux. Un piège se tend, fruit d’un plan machiavélique mûri avec patience, minutie et détermination. Quels en seront les effets ? La rencontre dont je viens de donner un aperçu n’est que le début d’un face à face qui réserve bien des péripéties. Les personnalités des deux personnages principaux s’éclairent au fil des événements et de leur capacité à réagir voire improviser. Le lecteur, captivé, regrette néanmoins que les autres personnages apparaissent avant tout comme des faire-valoir.
Pierre Lemaître (Prix Goncourt 2013 avec Au revoir là-haut) affiche une étonnante capacité à jouer avec son lecteur, dévoilant les fils de son intrigue très progressivement. Ainsi, la première partie prend une toute autre signification quand on avance dans la lecture. Si le roman peut se lire d’une traite (épaisseur raisonnable) et si l’intrigue se tient bien, j’ai trouvé les révélations finales un peu décevantes et le style globalement assez moyen. Comme il y a de l’action et des rebondissements, l’auteur privilégie souvent l’efficacité narrative. Par contre, les parties plus descriptives (journal intime notamment) dénotent un vrai plaisir d’écriture au service des caractères et personnalités des protagonistes.